The Project Gutenberg EBook of Quatre mois de l'expedition de Garibaldi en
Sicilie et Italie, by Henri Durand-Brager

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Title: Quatre mois de l'expedition de Garibaldi en Sicilie et Italie

Author: Henri Durand-Brager

Release Date: June 28, 2004 [EBook #12751]

Language: French

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QUATRE MOIS DE L'EXPEDITION
DE GARIBALDI EN SICILE ET EN ITALIE

PAR H. DURAND-BRAGER.


PARIS.--IMPRIME CHEZ BONAVENTURE ET DUCESSOIS,
55, QUAI DES AUGUSTINS.


PARIS
E. DENTU, EDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIETE DES GENS DE LETTRES
PALAIS-ROYAL, GALERIE D'ORLEANS, 13.

1861

Tous droits reserves.




PREFACE


On a beaucoup parle de Garibaldi et de ses volontaires; les journaux ont
retenti pendant quatre mois des evenements qui se sont accomplis en
Sicile et en Italie. Pour les uns, le celebre Nicois est un aventurier,
un ecumeur de mer, un Walker de la pire espece; ses compagnons un amas
de bandits, de flibustiers, rebut de la societe des quatre parties du
monde. Pour les autres, l'ancien defenseur de Rome est un heros, une
figure prise dans le livre de Plutarque, presque un nouveau Messie
entoure d'une phalange de martyrs et de liberateurs. Mais il y a un
point sur lequel tout le monde est d'accord, c'est sur l'integrite et le
desinteressement de l'ermite de Caprera.

J'aurais pu, comme un autre, essayer une monographie de Garibaldi que
j'ai connu dans la Plata, a l'epoque ou il commencait la vie aventureuse
qui l'a mene jusqu'a la conquete d'un royaume; et aborder a ce propos
les considerations historiques et politiques auxquelles on est
naturellement si enclin a se laisser entrainer: j'avais aussi ma petite
brochure dans la tete et ma petite solution dans la poche. Mais je me
suis rappele heureusement a temps le vers du Bonhomme, et me suis
souvenu que je ne devais avoir d'autres couleurs que celles de ma
palette.

Je me suis donc resigne a ecrire les faits dont j'ai ete temoin, comme
je les aurais dessines, cherchant a reproduire leur cote pittoresque
sans blesser personne. Peut-etre ces simples esquisses recueillies a la
hate par un artiste qui depuis vingt ans a assiste, soit comme
correspondant de nos premieres feuilles, soit comme peintre officiel de
la marine, a tous les grands evenements contemporains, auront-elles leur
enseignement et leur utilite. C'est tout ce que j'espere, tout ce que je
desire pour ce petit livre.

        H. DURAND-BRAGER.

    Paris, janvier 1861.




I


Marsala est une jolie petite ville, coquettement assise sur les plages
fertiles qui s'etendent de Trapani a Girgenti. Fortifiee jadis, comme
presque toutes les villes de la Sicile, elle a conserve ses murs et ses
remparts moyen age; mais, debordant sa ceinture, elle a fini par
s'etendre en dehors des anciens fosses. Le faubourg, qui relie la ville
au port, est presque moderne. Il y a un siecle, environ, le port de
Marsala etait a peu pres sur, et des navires d'un fort tonnage pouvaient
y venir chercher abri. L'indifference du gouvernement l'a laisse
combler presque entierement, et des bateaux d'une centaine de tonneaux
ont, de nos jours, de la peine a y mouiller. La jetee qui le ferme est
elle-meme dans le plus triste etat, et chaque nouvelle tempete enleve
une partie de ses enrochements. Il y a presque un kilometre du port a la
ville. On a construit sur les quais de vastes magasins et d'importants
etablissements qui appartiennent, en grande partie, aux Anglais. C'est
la que se fabriquent les vins de Marsala. Une seule maison sicilienne,
la maison Florio, represente le commerce italien. Sur la gauche s'eleve
le Monte di Trapani, couronne par son ancien chateau et sa vieille
ville, sejour de la colonie albanaise, dont les membres ont continue de
vivre entre eux et pour eux, sans jamais se meler ou s'allier au reste
de la population.

Rien n'est gai comme l'aspect de cette petite ville lorsqu'on la
decouvre par une belle matinee. Une vapeur bleuatre l'entoure du cote de
la campagne et fait ressortir la couleur chaude et transparente a la
fois des murailles et des tours, tandis que le soleil dore les plages de
sable et resplendit sur les facades blanches et roses des maisons.

Tel etait le tableau qu'on pouvait contempler le 11 mai dernier avec les
premieres lueurs du jour.

Une corvette de guerre anglaise reposait tranquillement sur ses ancres
presque a l'entree du port et en face des etablissements de ses
nationaux. Quelques rares habitants, se rendant a leurs affaires,
commencaient a circuler sur les quais, et observaient curieusement les
manoeuvres de deux ou trois vapeurs dont on apercevait au loin les
fumees dans la direction de l'ile de Favignano. C'etait la croisiere
napolitaine qui surveillait la cote sud de Sicile, et qui, la veille,
avait passe une partie de la journee stoppee devant Marsala.

Quelques bateaux de peche rentraient au port, et s'empressaient de
debarquer le butin de la nuit. Certes, personne, dans la ville, ne se
doutait des evenements que cette journee apportait.

Il etait environ six heures lorsque deux nouveaux vapeurs parurent a
perte de vue dans le sud. Ils avaient l'air de faire route sur Malte.
Mais, apres avoir laisse sur babord les croiseurs napolitains, ils
mirent ostensiblement le cap sur Marsala. Il y a dans les ports de
Sicile, comme dans toutes les villes maritimes de France, une population
de flaneurs, de rentiers, de marins ou d'officiers en retraite, qui n'a
d'autre occupation que de guetter l'arrivee de tout navire ou bateau qui
se dirige vers le port. Il y a aussi partout un point du littoral qui
leur sert de rendez-vous, semblable a la celebre _Pointe-des-Blagueurs_
de Brest. A Marsala, ce centre de conversations est situe a l'entree du
mole, et pres d'une petite maison blanche qui sert de corps de garde aux
douaniers. Cet emplacement n'est pas a l'abri du vent, les jours de
grande brise et de tempete. Les vagues s'y egarent meme quelquefois au
milieu des flaneurs. Mais on se refugie de son mieux contre la face de
la maisonnette la moins exposee aux rafales et aux coups de mer, et l'on
est toujours certain de trouver la a qui parler. Aussitot qu'il fut
avere que les deux vapeurs manoeuvraient bien pour donner dans le port,
on vit donc la foule se diriger vers cet endroit, et les conversations
prirent leur train.

Les deux navires grossissaient a vue d'oeil. Leurs ponts paraissaient
couverts d'un nombreux equipage. Ils etaient sans pavillon, et
semblaient se soucier aussi peu des vapeurs napolitains que de la
corvette anglaise mouillee dans la rade. On put meme bientot distinguer
des uniformes rouges montes sur les tambours des batiments. En ce
moment, la corvette anglaise commenca a faire des signaux qui
demeurerent sans reponse. Les commentaires allaient de plus belle a la
_Pointe-des-Blagueurs_. Qu'est-ce que cela signifie? D'ou viennent ces
bateaux? Que veulent-ils? Les fortes tetes de l'endroit savaient
peut-etre qu'il etait question quelque part d'une expedition du general
Garibaldi; mais une prudence naturelle aux profonds politiques les
empechait de se communiquer trop haut leurs conjectures a cet egard; ils
etaient en tout cas bien loin de supposer que la descente projetee vint
se faire dans leur petite ville, a la barbe des batiments de guerre
napolitains, et au milieu de gens qui n'avaient rien fait pour etre
prives de leur calme et de leur sieste dans le milieu du jour; car, il
ne faut pas se le dissimuler, si le gouvernement napolitain etait
deteste a Marsala, comme dans toute la Sicile, il n'en est pas moins
vrai qu'a part quelques exaltes, personne ne se serait avise d'y faire
une revolution, et c'est seulement dans les grands centres, comme
Palerme, Messine, Catane, etc., que pouvaient se rencontrer quelques
hommes d'action.

Cependant une certaine emotion vint bientot se manifester parmi les
curieux. Un gros _padre_ capucin, ancien marin peut-etre, venait de
faire remarquer que les croiseurs napolitains paraissaient pousser leurs
feux et avaient change de direction. Les deux navires inconnus s'etaient
sans doute apercu aussi de cette manoeuvre, car ils s'empanachaient
d'une maniere splendide, et l'un d'eux, meilleur marcheur sans doute,
prenait les devants, et n'etait plus qu'a deux milles environ de
l'entree du port. Quoique la corvette anglaise n'eut obtenu aucune
reponse a ses signaux, il est probable qu'elle avait reconnu de quoi il
s'agissait, car sa hune de misaine, ses passerelles et son gaillard
d'avant etaient couverts de matelots et d'officiers observant avec
interet la marche des deux batiments. Une embarcation avait meme ete
armee le long du bord, et se tenait prete a pousser. En ce moment, un
officier napolitain et quelques soldats arrivaient aussi a l'entree du
mole, car Marsala possedait un commandant superieur et une garnison
composee d'une centaine d'infirmes ou de soldats; le nom ne fait rien a
l'affaire. Des groupes nombreux commencaient a paraitre a la porte de
la ville du cote de la plage. Les fenetres se garnissaient, une sourde
rumeur se repandait partout, et le premier des deux navires signales
doublait a peine la lanterne du mole, qu'une panique folle s'empara de
la foule de femmes et d'enfants qui, insensiblement, avaient rejoint les
curieux. Ce fut une fuite generale. On pressentait le danger sans le
deviner. Bientot le batiment fut dans le port, et il fut aise de lire
sur son arriere: _Piemonte_. Une embarcation s'en detacha en meme temps
que les ancres tombaient; elle poussa a terre. Quelques mots furent
echanges avec des matelots du quai, et, aussitot, comme par
enchantement, les bateaux s'armerent de toutes parts, et se dirigerent a
force de rames vers le _Piemonte_. C'etait le debarquement qui
commencait. L'operation marchait lestement lorsque le second navire
donna lui-meme dans le port. Mais il avait trop serre la jetee, et il
s'echoua a une centaine de metres par le travers du fanal. C'etait le
_Lombardo_. Au lieu de stopper, sa machine continua a marcher, et il se
hala un peu plus en dedans en labourant le gravier et la vase.

Il n'eut donc pas besoin de mouiller, et commenca aussi son
debarquement. De leur cote, les croiseurs napolitains arrivaient grand
train. On voyait facilement qu'ils etaient en branle-bas de combat, les
hommes aux pieces et pares a faire feu. Un premier boulet vint mourir a
quelques metres du fanal. Un second, passant par-dessus la jetee, se
noya dans le port. Ce fut le signal du sauve-qui-peut. Les orateurs de
la Pointe jugerent que leur role etait fini. On dit meme que leur
retraite manqua de decorum. Les guerriers napolitains penserent qu'il
valait mieux en cette occurrence etre dedans que dehors les murailles.
Quant au _padre_ il retroussa rapidement sa casaque, et se rappelant que
l'Eglise devait avoir horreur du sang, il devanca la foule qui ne
s'attardait guere cependant a franchir la distance qui la separait des
magasins du port derriere lesquels elle trouva un abri. La fumee de ces
deux coups de canon courait encore comme une vapeur blanche sur l'azur
de la mer, lorsque l'embarcation anglaise, debordant la corvette, se
dirigea rapidement vers le vapeur napolitain qui paraissait commander
aux autres. Le feu cessa. Pendant ce temps le debarquement continuait,
et ce ne fut qu'apres un temps assez long, lorsque l'embarcation
anglaise retourna a son bord, que la canonnade recommenca, et qu'une
grele de boulets vint tomber sur le _Lombardo_, dans le port, et sur la
route qui mene a la ville.

C'etait trop tard. Garibaldi etait a terre. Les volontaires du
_Piemonte_ se formaient en bataille a l'abri des magasins. Ceux du
_Lombardo_ commencaient a se masser sur la plage. Au premier boulet ils
s'abriterent eux-memes ou ils purent. Somme toute, deux heures tout au
plus apres leur entree dans le port, tout le monde etait a terre, sain
et sauf. La seule perte que les volontaires eurent a subir fut celle
d'un caniche embarque sur le _Lombardo_. Il fut coupe par un boulet au
moment ou il se disposait a suivre le mouvement de l'equipage et des
volontaires.

Quelques instants apres les evenements dont nous venons de parler, la
petite armee liberatrice faisait son entree dans Marsala. La garnison,
ni le gouverneur ne s'obstinerent a se faire tuer. L'une mit bas les
armes, l'autre se rendit avec enthousiasme. Les habitants ouvraient de
grands yeux; quelques-uns criaient: _Viva la liberta!_ c'etait le plus
petit nombre; d'autres, plus avises, le pensaient peut-etre, mais le
gardaient pour eux. On a si vite commis une imprudence, et les
evenements changent si vite de face du soir au lendemain!

Quelques magasins restaient ouverts, et ces malheureux soldats de
Garibaldi, extenues par une navigation de huit jours, entasses sur leurs
navires comme des harengs dans une caque, cherchaient partout quelques
vivres frais, quelque autre boisson que l'eau croupie et saumatre du
bord. C'etait a qui se detendrait les bras et les jambes pour s'assurer
qu'il ne les avait pas perdus a bord dans l'engourdissement cause par
l'agglomeration de tant d'hommes sur le pont des navires.

Cependant, avant l'entree de Garibaldi dans Marsala, le telegraphe avait
signale a Trapani l'arrivee de deux batiments sans pavillon, puis leur
entree dans le port, puis le commencement du debarquement des
volontaires. Il s'etait arrete la.

A peine dans la ville et en vrais volontaires, les Garibaldiens
s'etaient immediatement repandus partout. L'employe du telegraphe avait
decampe au plus vite, laissant son collegue de Trapani lui faire, mais
en vain, force signaux. Dans les volontaires, il y a generalement un peu
de tout. Il fallait un agent telegraphique: on en trouva un
immediatement. Lire la depeche commencee, fut pour lui peu de chose;
traduire celle de Trapani ne fut pas plus difficile.

Mais que repondre? On fut immediatement consulter un chef; les uns
disent que ce fut le general Garibaldi lui-meme. Toujours est-il que
l'on donna l'ordre a l'employe telegraphique improvise de signaler a
Trapani: "Fausse alerte. Les navires qui debarquent contiennent des
recrues anglaises se rendant a Malte." Il etait urgent, en effet, de
derouter, ne fut-ce que pour quelques heures, les autorites militaires
de Trapani qui pouvaient lancer immediatement sur les flancs de la
petite colonne liberatrice un corps de troupes de deux ou trois mille
hommes.

La reponse de Trapani ne fut pas longue: en l'adoucissant beaucoup, on
peut la traduire ainsi: "Vous etes un imbecile de vous etre trompe."

Le peu de temps que les volontaires sejournerent a Marsala dut etre
laborieusement employe. Changement de municipalite; organisation de
la garde civique; nomination d'un gouverneur; commission
d'approvisionnement et d'habillement; inspection des vivres et des
munitions de chaque homme, etc. Il fallait pourvoir a tout cela. Des
pavillons aux couleurs nationales furent improvises et arbores partout.
Les etoffes rouges de la ville mises en requisition servirent a
confectionner dans les vingt-quatre heures autant de chemises de laine
que possible.

Le soir meme, suivant les ordres du general, une avant-garde se lancait
sur Calatafimi, en passant par Rambingallo, Saleni et Vita. Le reste de
l'armee devait partir le lendemain matin de bonne heure et faire etape a
Rambingallo.

La nuit fut bruyante dans Marsala. Cette ville, si calme, si tranquille,
dont les habitants rentraient ordinairement chez eux a la nuit tombante,
abandonnant leurs rues et leurs places a des multitudes de rats de
categories variees, dut se trouver completement abasourdie en entendant
les pas des Garibaldiens et le bruit de leurs sabres rebondissant sur
les dalles de pierre qui pavent toutes les cites italiennes.

Quelques cris de _Viva Garibaldi!_ s'echappant de fenetres discretes,
venaient de temps en temps se joindre aux chants des volontaires. Mais
l'on eut toujours ete fort embarrasse de dire precisement d'ou ils
partaient. Quant aux couronnes de fleurs et aux bouquets dont on
accablait la petite armee liberatrice, ils n'ont, je crois, jamais
existe que dans l'imagination des conteurs. C'eut ete trop oser. Les
agents du seigneur Maniscalco (lisez sbires), etaient trop redoutes
dans toute la Sicile pour que l'enfant la plus legere et la plus
inconsequente se permit une demonstration aussi sympathique a l'endroit
de la liberte nationale.

C'etait un Croquemitaine en habit noir, que ce Maniscalco. Il savait
tout ce qui se passait non-seulement en public, mais encore dans
l'interieur des familles et jusque dans les couvents. Nous le
retrouverons d'ailleurs a Palerme, et nous aurons occasion d'en parler
longuement.

Les Garibaldiens passerent donc cette premiere nuit comme ils purent,
les uns dans les eglises metamorphosees pour l'instant en casernes de
passage, les autres dans les maisons; beaucoup resterent dans les rues.
Sous le beau ciel de la Sicile, ce n'etaient pas les plus mal partages.
Le matin du 12, vers trois heures, les premiers eveilles parmi les
habitants purent les voir capeler leurs petites sacoches, essuyer leurs
fusils, ternis par l'humidite qui, meme dans les plus beaux jours, regne
sur le littoral de la mer, puis s'acheminer vers la porte de Calatafimi
ou les compagnies se reformerent, attendant l'ordre du depart. A quatre
heures, le mouvement commencait, et les erudits de la bande pouvaient
s'ecrier comme Cesar: _Alea jacta est!_ Les colonels Bixio, Orsini,
Tuerr, Carini, etc., marchaient en tete de leurs regiments ou plutot de
leurs petits bataillons. L'artillerie se composait de deux ou trois
pieces assez mal outillees, encore plus mal attelees; les munitions
etaient rares, presque nulles. Quant a la cavalerie, une douzaine de
chevaux, dont les cavaliers portaient le nom de guides, en
representaient l'effectif.

La voila donc en route, cette intrepide colonne, et pendant qu'elle
s'avance ainsi pele-mele, flanquee de quelques eclaireurs qui ne se
preoccupent guere d'une rencontre avec l'armee napolitaine, regardons-la
defiler, et observons-en l'ensemble et les types particuliers. Pour
l'ensemble, c'est une poignee d'hommes determines, des fusils de tous
modeles, de l'entrain et de la gaiete, le bagage du Juif errant moins
les cinq sous, des costumes dont la variete ferait envie au parterre le
plus emaille, et dont l'originalite exciterait la verve de Callot ou
d'Hogarth.

Quant aux types, ils ne sont pas moins curieux: Ici, c'est un Hongrois,
a la taille elevee, aux larges epaules et a la demarche de Madgyar. Il
porte en se jouant son escopette aussi facilement qu'une femme fait
manoeuvrer son ombrelle. Derriere lui s'avance un blond Anglais; mais sa
figure, pour etre rasee comme celle d'un bon bourgeois, n'en respire pas
moins ce courage froid et calme que rien ne pourra troubler. Celui-la
porte un peu son fusil comme un promeneur fait de sa canne; la
baionnette, attachee par un bout de ficelle, bat la breloque avec un
petit sac de voyage. En vrai fils d'Albion, il n'a pas oublie une gourde
a la panse rebondie. On peut parier que ce n'est pas de l'eau qu'elle
contient.

Puis voici un compatriote. Ils sont rares encore. Celui-la chante avec
insouciance le _Sire de Framboisy_, et, si on fouillait dans un sac de
toile accroche sur son epaule, on y trouverait, j'en suis sur, quelque
poule assassinee traitreusement, car il est peu probable que les plumes
accusatrices qui se faufilent a travers les coutures de ce havre-sac
soient le commencement d'un edredon. Son armement se compose d'une
carabine, qui ressemble terriblement a celles de nos chasseurs a pied,
et d'un enorme baton, complice de bien des forfaits et dont la vue seule
doit faire fremir la volaille. Qui vient apres lui? Un enfant. Il a
seize ans, tout au plus. C'est un petit Nicois, entraine par l'amour de
la gloire ou de la liberte, comme vous voudrez, et qui vient essayer ses
forces dans les hasards de cette guerre aventureuse. Le pauvre garcon a
deja bien de la peine a supporter le poids de ses bibelots et de son
lourd fusil de munition. Courage! Il arrivera comme les autres,
peut-etre meme avant. Les gardes mobiles de France etaient aussi, pour
la plupart, des enfants. Mais quel est ce nouveau costume etonne de son
entourage? Quoi, un cordelier! Dieu me pardonne! c'est celui de la
_Pointe-aux-Blagueurs_. Son capuchon, rejete militairement sur le dos;
laisse apercevoir une encolure d'Hercule. Sa face barbue semble celle
d'un zouave ou d'un Arabe. Sa cotte est retroussee jusqu'aux hanches au
moyen d'une corde; dans cette ceinture improvisee passe un pistolet dont
le canon defierait en longueur une canardiere; et ses jambes mises
ainsi a nu font saillir des muscles dont la vigueur doit resister
merveilleusement a la fatigue et aux marches forcees. Sa croix en
sautoir, probablement par un reste d'habitude, se balance de droite a
gauche, etonnee de la recente desinvolture de son maitre; un foulard
quelque peu troue sert de kepi, et complete l'equipement. C'est sans
doute l'uniforme des aumoniers de l'armee: honni soit qui mal y pense!
Mais que vient faire ce pantalon garance dans ce pele-mele? Parle-t-il
francais? non. C'est un Toscan; car ce bon duc de Toscane, seduit par la
couleur brillante des pantalons de notre armee, en avait, comme feu le
roi de Naples, affuble les jambes de ses troupes. Puis, passent quelques
Suisses, deux ou trois Allemands, puis des Lombards; puis surtout des
Romains en grand nombre, vieux compagnons de Garibaldi, debris des
defenseurs de Rome.

Enfin, la colonne est presque passee, lorsque apparait une guerilla
bizarre. C'est le noyau des volontaires siciliens autour desquels vont
se grouper tous les _picchiotti_ de la montagne. Le musee d'artillerie,
dans sa collection, ne possede rien de plus curieux que les engins
auxquels ils sont accroches. Armes d'autrefois, exhumees on ne sait
d'ou, calibres a chevrotines ou a biscaiens; il serait difficile de dire
de quelques-uns de ces instruments s'ils partent par la culasse ou par
le bout du canon. Ce sont de ces vieux tromblons dans lesquels on
pourrait facilement loger toute une grappe de raisin, tout un paquet de
mitraille, ou ces petites carabines, au canon de cuivre, cheres aux
voleurs de grands chemins. Il y a encore nombre de stylets et de
couteaux corses ou catalans. Les costumes sont comme les armes: des
vestes de velours et des guenilles. Des figures que l'on n'aimerait pas
a rencontrer au coin d'un bois. On dirait presque la bande de Fra
Diavolo. Quelques femmes les accompagnent et, petit a petit, les
quittent pour s'en retourner vers la ville en leur donnant de ces
poignees de main qui disent a elles seules plus que tous les discours.

Tout ce monde chemine, marche, aux rayons du soleil levant, et la
colonne, semblable a un long serpent bariole, commence a gravir les
contre-forts des montagnes qui s'elevent dans l'interieur de la Sicile.

Cette premiere marche fut peut-etre l'une des plus penibles du
commencement de la campagne. Un soleil brulant, beaucoup de poussiere,
peu ou presque pas d'eau; pour des hommes encore engourdis par leur
sejour force a bord, c'etait dur. Enfin, on arriva sans encombre a
Rambingallo.

Rambingallo est une petite ville ou, pour mieux dire, un miserable bourg
qui offre peu de ressources pour une armee en marche. Aussi n'y fit-on
qu'une courte halte; on repartait le soir meme pour Saleni, ou l'on
entrait le 14 au matin. Il y eut la sejour necessaire pour organiser
plus militairement la petite armee, et pour laisser le temps aux
trainards de rallier.

Jusque-la, la colonne n'avait ete inquietee que par des bruits ou de
fausses nouvelles apportees par des espions empresses: les Napolitains
sont ici; les royaux sont la; ils sont devant vous, sur votre flanc,
etc. Somme toute, on ne les voyait nulle part.

Mais le general Garibaldi, mieux informe, savait qu'un corps de troupes
detache de Palerme s'avancait a marches forcees, et qu'il devait le
rencontrer quelque part comme a Vita, Calatafimi ou Alcamo. Ce corps
possedait de l'artillerie, et meme un peu de cavalerie.

A Saleni, le role de chaque chef et de chaque corps fut bien specifie.
Les munitions furent partagees aussi egalement que possible. Un corps de
chasseurs fut organise; Menotti, le fils de Garibaldi, en prit le
commandement, ainsi que d'une reserve destinee a proteger les quelques
chariots de bagages et de munitions appartenant a l'armee liberatrice.
Quant a la caisse, elle se defendait toute seule: elle etait vide.
Plusieurs soldats napolitains deserteurs avaient rejoint dans la soiree
du 14, et avaient donne des renseignements precis sur la position des
troupes royales qui attendaient les liberateurs a Calatafimi, non pas
les bras ouverts, mais dans de fortes positions militaires.

On devait donc prevoir une premiere et serieuse affaire pour le
lendemain. De ce combat allait dependre sans doute tout le succes de
cette aventureuse expedition. Pour les Napolitains, la defaite, c'etait
le desarroi, le decouragement et la desertion. Pour les Garibaldiens, la
victoire, c'etait presque la certitude du succes dans tout le reste de
la Sicile. Mais aussi pour eux, la defaite, c'etait le danger d'une
fuite dans les montagnes, autant dire la mort! Aussi, dans la petite
armee de Garibaldi, n'y avait-il qu'une devise: "Vaincre ou mourir." Les
_picchiotti_ seuls n'etaient pas aussi decides, et ils songeaient sans
doute a la retraite plutot qu'a la mort ou a la victoire; mais ils se
taisaient et attendaient.

Le 15, au matin, l'armee garibaldienne, partie de bonne heure de Saleni,
arrivait a Vita qu'elle trouvait abandonnee par les troupes
napolitaines. Ces dernieres occupaient, a la sortie du village, une
suite de collines allongees, aboutissant a Calafatimi.

Cette chaine presente sept positions dominantes, successives. La route
se deroule a leurs pieds; elle n'est, de fait, qu'un veritable defile
entre les collines dont nous parlons, a droite, et les hautes montagnes
qui, sur la gauche, suivent la meme direction. Seulement, ces dernieres,
quoique fort elevees, descendent par une pente presque insensible vers
la plaine, de sorte que les sommets, trop eloignes du lieu de l'action,
ne pouvaient servir de positions militaires. Une petite riviere, qui
arrive obliquement a la route, venait la rejoindre a la hauteur du
premier mamelon, et un moulin, qui se trouvait a cet endroit, etait
fortement occupe par un detachement de l'armee napolitaine. La route de
Trapani a Palerme court aux pieds des montagnes de gauche, paraissant et
disparaissant dans les plis du terrain.

A peine sortie de Vita, l'avant-garde de Garibaldi, dont les tirailleurs
s'etaient deployes sur une petite colline a la droite du village, en
face des positions ennemies, s'engagea vigoureusement avec les
tirailleurs napolitains abrites par des plantations et embusques dans un
hameau situe entre les deux collines, au fond d'un ravin qui se prolonge
jusqu'aux montagnes qui encadrent l'horizon.

Vivement ramenes par les tirailleurs garibaldiens, ceux de l'armee
royale ne tarderent pas a regagner le sommet du premier mamelon,
poursuivis, la baionnette dans les reins, par leurs adversaires. Le
colonel Orsini mettait en batterie a ce moment, a cheval sur la route de
Calatafimi et a l'entree du ravin, deux pieces de campagne battant cette
route et le moulin.

Arrives presque au sommet du premier mamelon, les tirailleurs de
Garibaldi durent s'arreter pour reprendre haleine et attendre des
renforts qui leur arrivaient au pas de course. Couches a terre, au
milieu des aloes et des cactus, ils laisserent passer un instant la
grele de boulets que leur envoyait l'artillerie napolitaine. Mais, a
peine rejoints par quelques compagnies, ils reprennent l'offensive,
abordent a la baionnette les lignes ennemies, dont l'artillerie se hate
de battre en retraite, tirant par sections, et se dirigeant vers le
sommet du deuxieme mamelon ou sont massees d'autres troupes.
L'infanterie resiste mieux, mais bientot elle suit l'exemple de
l'artillerie, et prend position en tirailleurs sur le versant de ce
deuxieme mamelon. On voit a ce moment de fortes reserves dans la
direction de Calatafimi; elles se hatent de rejoindre les troupes
engagees.

D'autres renforts arrivent aux Garibaldiens qui abordent le deuxieme
mamelon et l'enlevent comme le premier. Une petite maison, situee au
sommet, est immediatement convertie en ambulance et occupee par les
chirurgiens de l'armee liberatrice.

Un nouveau repos de quelques minutes etait devenu necessaire; six
compagnies qui n'avaient pas encore ete engagees furent formees en deux
colonnes d'attaque, et se lancerent resolument sur la troisieme
position. L'armee royale tint un instant; mais, debordee par les
tirailleurs garibaldiens et attaquee par le bataillon de chasseurs
genois qu'entraine intrepidement son commandant Menotti, elle se met en
pleine retraite, cherchant a se rallier sur le quatrieme mamelon qui lui
servait de base d'operations. Elle y masse son artillerie et attend
l'ennemi. Efforts inutiles. Les volontaires ont engage toute leur armee.
C'est une legion d'enrages qui tuent sans s'arreter, glissent sous le
canon, et debusquent successivement les royaux des trois autres
positions. Menotti, un drapeau a la main, se precipite au milieu des
masses napolitaines jusqu'a ce que, blesse au poignet, il soit oblige
de ceder cet honneur a un officier de marine qui fut tue quelques
instants apres. Ce n'est plus une retraite, c'est une deroute complete.
Vainement le general Landi, qui commande les royaux, cherche a les
rallier. Traversant a la debandade Calatafimi, ou les _picchiotti_,
embusques dans tous les coins, leur font eprouver de grandes pertes, les
fuyards se precipitent vers Alcamo, ou les attendent encore des
volontaires descendus de la montagne. Les malheureux sont obliges, pour
fuir ce nouveau danger, de continuer leur retraite vers Palerme, en
abandonnant morts, blesses, bagages, et une grande quantite d'armes,
couvrant la route de cadavres, car les balles des _picchiotti_ les
atteignent partout.

Les volontaires camperent sur le champ de bataille, et cette premiere
victoire leur tint lieu de tout ce qui leur manquait en vivres et en
secours. En somme, les Napolitains s'etaient bien battus, quoi qu'on ait
pu en dire, et l'armee de Garibaldi avait montre ce qu'elle pouvait
faire, ce que l'on devait attendre de gens determines et animes d'une
haine profonde contre la tyrannie. Les _picchiotti_ n'avaient pas ete
brillants, sauf ceux d'Alcamo. Ils n'avaient pas tenu au feu malgre
leurs chefs et quelques pretres qui, payant de leurs personnes,
chercherent vainement a les enlever. Ils tiraient a distance, mais il
etait impossible de les faire aborder l'ennemi et soutenir son choc
lorsqu'il s'avancait. A cette affaire, les troupes royales avaient un
effectif de quatre a cinq mille hommes, et l'armee liberatrice comptait
environ mille huit cents baionnettes.

Le lendemain matin, 16, Garibaldi entrait a Calatafimi, ou les blesses
avaient ete deja transportes dans la nuit; et, vers l'apres-midi,
l'avant-garde marchait sur Alcamo, ou l'armee la rejoignait le lendemain
17.

En arrivant a Alcamo, un triste spectacle attendait les volontaires. Les
_picchiotti_ suivant leurs moeurs et leurs usages sauvages, avaient
ramasse les corps des Napolitains tues la veille, et les avaient jetes
dans un champ pour les voir manger par les chiens et les oiseaux de
proie. Leurs factionnaires veillaient ce charnier, de peur que quelque
ame charitable ne vint les ensevelir. Il fallut l'arrivee du general
Garibaldi pour reprimer cet acte de feroce barbarie, et faire donner la
sepulture a ces malheureux. "Certes, disait un _picchiotti_, le general
Garibaldi a raison, mais il ne sait pas tout ce que nous avons souffert
de cette race maudite; nous ne rendons que barbarie pour barbarie." Il
est triste de penser qu'il disait peut-etre la verite.

C'est a Alcamo que le mouvement revolutionnaire commenca veritablement a
se dessiner. De nombreux messagers arrivaient a tout moment au general
Garibaldi, lui promettant des secours, et lui apportant l'assurance d'un
concours sympathique et vigoureux. Partout les anciennes autorites
etaient chassees et remplacees par les hommes du mouvement. Les gens de
Maniscalco s'eclipsaient, et, avec eux, disparaissait une partie de
cette crainte et de cette torpeur qui pesaient sur toutes les classes
siciliennes. Le clerge, vigoureusement lance dans la voie des reformes,
employait son ascendant pour entrainer les populations et les disposer a
l'action. Quelle difference, deja, entre ce que l'on appelait la poignee
d'aventuriers debarques a Marsala et les volontaires victorieux de
Calatafimi! Ainsi marchent toutes choses: le succes avait transforme les
_flibustiers_ de Marsala en armee nationale.

Ce fut aussi a Alcamo qu'un semblant d'intendance commenca a
s'organiser. Le service des vivres y gagna. Quant a celui des finances,
il resta le meme jusqu'a Palerme, et meme longtemps apres la prise de
cette ville. Qui ne connait cette heureuse lithographie de Raffet
qu'accompagne cet adage: "Avec du fer et du pain on peut aller en
Chine?" Garibaldi disait: "Avec du fer et du pain on conquiert sa
liberte!" Et, le premier, il donnait, comme toujours et partout,
l'exemple d'un desinteressement sans bornes et d'une sobriete a toute
epreuve. D'ailleurs, l'argent eut servi a peu de chose: il n'y avait
rien a acheter.

Un evenement assez curieux s'etait passe a Calatafimi, au moment de
l'entree de Garibaldi. Un jeune cordelier, a la figure intelligente et
enthousiaste, s'etait elance vers le general, et, en lui donnant
l'accolade, lui avait tenu a peu pres ce langage: "Frere, tu es le
sauveur de l'Italie, tu es le Messie de la liberte; mais cette liberte,
tu nous l'apportes fletrie d'une excommunication. Tu es chretien, nous
sommes chretiens, tu nous commandes: pourquoi rester sous le coup de
cette bulle? Attends un instant. J'entre a l'eglise, je vais preparer ce
qu'il faut, et, la, devant Dieu et les hommes, je te releverai de cet
anatheme maladroit, et rendrai a Dieu ce qui est a Dieu." Aussitot dit
aussitot fait. Le _padre_ Pantaleone (c'etait son nom) entre a l'eglise;
Garibaldi continue son chemin; mais, rejoint bientot par celui qui
devait etre plus tard son aumonier particulier, il se laissa faire, et
le diable lance a ses trousses fut exorcise par le cordelier.

On peut dire bien des choses a propos de cette anecdote; quant a moi, je
n'en garantis que la scrupuleuse veracite.

Le 18, la petite armee, bien reorganisee, arrivait a Rena, apres une
rude etape, en passant par Valguarnero et Partenico. Sur toute la route,
des bandes de volontaires descendant des montagnes avaient rallie la
colonne; mais Garibaldi leur avait enjoint de se tenir sur les flancs ou
en arriere. Il craignait avec raison le desordre que pourraient apporter
dans une attaque l'inexperience et souvent meme la frayeur de ces
soldats improvises. Il avait promptement juge leur valeur, et les
regardait dans une action comme un embarras plutot que comme une aide.
Cependant leur presence autour de l'armee garantissait de toute
surprise, et leur feu pouvait gener et meme embarrasser les tentatives
de l'armee royale. Leurs tirailleurs eclairaient de fait toute la
marche. On passa la journee du 19 a Rena, et, dans l'apres-midi, les
_picchiotti_, soutenus par quelques avant-postes de l'armee reguliere,
attaquerent Ensiti evacue incontinent par une petite arriere-garde
napolitaine qui l'occupait.

Plus on avancait, et plus on rencontrait de sympathies pour la cause
liberale. Les _picchiotti_ commencaient a se reunir en grand nombre et a
marcher moins isolement. Une partie fut enregimentee tant bien que mal,
et choisit pour colonel Roselino Pilo, qui devait le surlendemain payer
de sa vie l'honneur que lui faisaient ses compatriotes. On leur assigna
leurs postes de combat a l'avant-garde et a l'arriere-garde.

Partie dans la nuit du 19, l'armee venait s'arreter le 20 a Piappo ou
Misere-Canone. La, le general Garibaldi eut de nouveaux renseignements
sur les operations de l'armee napolitaine. Elle s'etait concentree aux
abords de Palerme, et occupait les cretes des montagnes voisines.
Plusieurs fortes colonnes mobiles, avec de l'artillerie, s'etaient
lancees sur la route de Palerme a Trapani et Marsala, ainsi que sur
celles de Messine et de Castellamare. On savait aussi qu'il leur etait
arrive des renforts et un general envoye par la cour de Naples. Une
nouvelle rencontre etait donc imminente, et cette pensee ne fit
qu'exalter le courage des Garibaldiens en leur laissant entrevoir un
nouveau succes. Le regiment des _picchiotti_ partit le soir meme. Il
devait marcher sur le flanc de l'armee, qui s'acheminait elle-meme vers
Palerme. On avancait avec precaution, prenant garde aux surprises. On
etait deja arrive a quelques milles de San-Martino lorsqu'une vive
fusillade se fit entendre. C'etait un engagement des _picchiotti_ avec
l'ennemi. Abordes par les troupes royales, ils plierent d'abord sous le
choc; mais, valeureusement ramenes au feu par leur colonel et quelques
officiers devoues, ils reprirent l'offensive, et, a leur tour,
arreterent la marche en avant de la colonne napolitaine. Le combat ne
fut plus alors qu'une affaire de tirailleurs qui dura quelques heures,
et finit sans resultat de part ni d'autre. Malheureusement, Roselino
Pilo fut frappe a mort au milieu de l'engagement. C'etait une grande
perte, car il etait aime et avait beaucoup d'empire sur ces bandes
indisciplinees. Cette affaire de San-Martino eut lieu le 21 dans la
matinee.

L'armee liberatrice avait fait halte, prete a se porter au secours des
_picchiotti_. Sans doute, pendant ce laps de temps, des nouvelles
importantes parvinrent au general Garibaldi; car, faisant volte-face, il
revint sur ses pas, et prit l'embranchement de la route de Rena a Parco.
Il faisait un temps affreux. La pluie tombait par torrents, et la nuit
etait tellement obscure, que les hommes se distinguaient a peine
eux-memes. La route, defoncee, arretait a chaque instant la marche de
l'artillerie, et les chevaux refusaient d'avancer. Il fallut porter les
pieces a dos, laissant les affuts seuls atteles. Les troupes n'avaient
pas mange et etaient harassees par cette longue et penible etape a
travers les montagnes. Dans cette triste nuit, leur perseverance fut
mise a une rude epreuve. Enfin, le 22, au petit jour, on arrivait sur le
mont Calvaire, et on y prenait le bivouac de grand coeur. La pluie avait
cesse; un beau soleil fit bientot oublier aux volontaires les fatigues
de la nuit.

Le mont Calvaire est a environ cinq ou six kilometres au-dessus de
Montreal. Une etroite vallee le separe des montagnes sur lesquelles est
situee cette petite ville. Des bois, des jardins et des maisons occupent
tout le vallon, et remontent de chaque cote jusqu'a mi-cote. La route
royale, qu'avait quittee l'armee garibaldienne, passe du cote de
Montreal, tracee dans le flanc des montagnes, a peu pres au tiers de
leur hauteur. Toute cette route, jusqu'en face le mont Calvaire, etait
gardee par de grand'gardes napolitaines. Du bivouac, on les voyait
distinctement, et la ville paraissait remplie de troupes. Parco est
immediatement au-dessous du mont Calvaire, a deux kilometres au plus de
distance, et la route qui conduit de Palerme a Parco, Piano, etc., se
deroule sur le versant de la chaine de montagnes dont fait partie le
mont Calvaire, qu'elle commence a gravir apres avoir tourne Parco,
passant a mi-hauteur de la montagne. L'armee avait grand besoin de
repos, et quoique l'on manquat de bien des choses, on resta au bivouac
jusqu'au 23. Vers le soir de ce dernier jour, les avant-postes
s'engagerent avec les grand'gardes napolitaines qui, descendues dans la
vallee, avaient commence a gravir le mont Calvaire. Apres une fusillade
insignifiante elles se retirerent, et reprirent leurs premieres
positions.

Le matin du 24, de bonne heure, a l'instant ou l'armee nationale se
mettait en mouvement, on apercut sur la route de Palerme de profondes
colonnes s'avancant sur Parco. En meme temps on apprenait que les
troupes qui etaient a Montreal executaient un mouvement tournant par le
sommet de la montagne.

On ne tarda pas en effet a apercevoir leurs tetes de colonnes descendant
des plateaux eleves qui sont un peu plus loin que Parco, et qui se
relient avec le mont Calvaire. L'ennemi menacait l'aile gauche de
Garibaldi: evidemment, son but etait de la couper.

Derriere les cretes d'ou descendait l'armee de Montreal se trouve une
suite d'autres sommets qui se relient aussi aux premiers. Le general
Garibaldi embrassa d'un seul coup d'oeil toute la situation. Ordre fut
donne a l'aile gauche de tenir bon jusqu'a la derniere extremite. Une
section de deux pieces placees sur le mont Calvaire, une autre en
batterie sur la route, prenaient a revers tout a la fois les colonnes
venant de Palerme et celles de Montreal.

L'affaire s'engagea vivement. Pendant ce temps, le general Garibaldi
derobait, grace aux sinuosites de la montagne, la marche de son centre
et de son aile droite, et, tournant la route vers Piano, il les lancait
sur le versant des cretes les plus elevees. Cette manoeuvre fut
accomplie au pas gymnastique et avec une rapidite inouie. Une heure ne
s'etait pas ecoulee depuis le commencement de l'action, que la brigade
venue de Montreal, qui attendait, pour aborder franchement l'armee
garibaldienne, l'approche des colonnes venant de Palerme, voyait son
aile droite compromise, et se trouvait elle-meme presque entierement
tournee par le centre et l'aile droite de Garibaldi qui prenaient une
position menacante en arriere de ses lignes. Les Napolitains se haterent
alors de se replier, les uns sur Montreal, et les autres sur Palerme. De
son cote, l'armee de Garibaldi se dirigeait, par une marche de flanc,
sur Piano, ou elle arriva a la nuit tombante. Chacun pensait que le
general allait profiter de ce premier et important succes pour se porter
rapidement en avant. Mais, a la stupefaction generale, l'artillerie et
les bagages recurent l'ordre de se separer du corps d'armee, et de filer
grand train sur la route de Corleone, battant ainsi ostensiblement en
retraite.

Corleone est une petite ville situee de l'autre cote des monts
Mata-Griffone, a environ quarante a quarante-cinq kilometres de Piano.
Le colonel Orsini, suivant les instructions qu'il avait recues, se mit
immediatement en marche, pendant que l'armee, a la faveur de la nuit,
se dirigeait elle-meme sur les forets de Fienza qu'elle atteignait vers
une heure du matin. Garibaldi savait en effet que le general commandant
l'armee napolitaine avait reuni toutes ses troupes dans Palerme. La plus
grande partie etait massee dans la rue de Tolede et au Palazzo-Reale;
d'autres etaient renfermees dans la citadelle; deux ou trois bataillons
se trouvaient pres du mont Pellegrini, et, enfin, une division entiere
gardait l'entree de Palerme vers la route de Missilmeri et Abbate. Il
fallait tromper cette division, et lui faire abandonner sa position pour
suivre un ennemi qui paraissait fuir en desordre. C'etait le role
attribue au colonel Orsini. Garibaldi, de son cote, se derobant par une
marche de nuit dans les profondeurs des forets de Fienza, tournait le
mouvement de la colonne napolitaine de maniere a arriver promptement aux
positions que l'ennemi abandonnait.

Ce projet, bien concu, et encore mieux execute, reussit completement. On
se rappelle la pompeuse depeche napolitaine annoncant la fuite en
desordre des bandes de brigands, et leur poursuite acharnee par une
division royale. Pendant ce temps Garibaldi quittait la foret de Fienzza
le 25, au matin, et entrait a Marinero sans s'inquieter de la division
ennemie qui passait a quelques milles de cette petite ville.

On vit en cette circonstance se produire un fait digne de remarque, et
qui se renouvela pendant toute cette guerre. Les habitants montrerent
souvent de la faiblesse et de la tiedeur. Le souvenir des affreux
traitements que leur infligeait le gouvernement de Naples, n'etait pas
fait pour les enhardir; mais ils se bornaient a s'enfermer, a ne pas
donner signe de vie, et il n'y a pas eu un traitre parmi eux. Un seul
homme pouvait compromettre le succes de cette audacieuse manoeuvre. Bien
plus, a Palerme, tout le monde savait l'arrivee de Garibaldi pour le 26,
et connaissait la porte qu'il devait attaquer. Nul ne pensa a vendre ce
projet aux autorites napolitaines qui auraient pu facilement remplacer,
par d'autres troupes, les naifs soldats lances plus naivement encore a
la poursuite des debris de l'armee liberatrice. Ce qui montre combien
tout le monde etait d'accord pour souhaiter la fin de leur occupation.

Dans la nuit du 25 au 26, l'armee nationale quittait Marinero, et
marchait vers Missilmeri qu'elle laissa sur sa droite pour gagner les
monts Gibel-Rosso. C'etait une bonne position militaire, et d'ou l'on
pouvait decouvrir tout Palerme. Le 26 il y eut une alerte assez vive,
mais qui n'eut pas de suites. L'armee passa le restant de la journee a
ce bivouac; dans la soiree, une reconnaissance de cavalerie napolitaine
vint se heurter contre ses vedettes, et, apres avoir echange quelques
coups de feu, se replia sur la ville.

Ce fut la que le general Garibaldi prit ses dernieres dispositions et
prepara l'attaque de la ville. Les munitions etaient rares; il ne
restait plus qu'une dizaine de cartouches par homme. On n'avait plus
d'artillerie. L'armee avait bien grossi en nombre, mais les recrues
etaient des _picchiotti_, et l'on avait perdu plus de trois cents hommes
parmi les soldats veritables. C'etait donc avec seize a dix-sept cents
baionnettes tout au plus qu'on allait attaquer une ville et une
citadelle defendues par une garnison de vingt a vingt-deux mille hommes.
Quelles que fussent les sympathies des habitants, il n'y avait pas a se
faire de grandes illusions sur le concours qu'on en pouvait attendre, au
moins dans les premiers moments.

Le 26, dans la nuit, cette poignee d'hommes prenait les armes et
descendait impetueusement des monts Gibel-Rosso vers Abbate, traversait
ce bourg et arrivait sans coup ferir au pont de l'Amiraglio, defendu par
un regiment napolitain; le 27, a trois heures du matin, trente-deux
hommes et seize guides composant l'avant-garde se jetaient sans hesiter
sur les troupes qui gardaient les abords du pont, et les forcaient a en
abandonner la defense. L'armee avait ete partagee en trois colonnes
d'attaque: l'une commandee par Bixio, l'autre par Sertori, celle du
centre par le general Garibaldi. A quatre heures, chassant l' ennemi de
maison en maison, dans le faubourg, les volontaires arriverent a la
porte de Palerme au milieu de l'incendie allume par les fuyards dans
chacune des maisons qu'ils etaient forces d'abandonner. A six heures le
faubourg etait pris. Il y avait en ce moment environ douze mille hommes
au Palazzo-Reale, couvrant le front de la ville. La citadelle, avec cinq
mille hommes, defendait la gauche, du cote du mont Pellegrini; deux
mille hommes, environ, occupaient le faubourg que venait d'enlever
l'armee liberatrice. Il y avait bien encore quatre mille hommes, mais
ils etaient a la poursuite d'Orsini. En attaquant par ce faubourg, le
general Garibaldi avait l'intention d'isoler, par un vigoureux coup de
main, la citadelle du Palazzo-Reale, et d'offrir en meme temps, par ce
seul fait, un point d'appui au mouvement insurrectionnel des habitants.
A quelques heures d'intervalle, le colonel Orsini atteignait aussi
Palerme, ramenant ses pieces, apres avoir derobe adroitement sa marche a
la colonne napolitaine qui le poursuivait, et qui, un beau matin, en se
reveillant, n'avait plus su retrouver la piste du gibier qu'elle
chassait si maladroitement.

On ne saurait se faire une idee du desarroi dans lequel se trouvait deja
en ce moment l'armee royale, et du decouragement que les defaites de
Calatafimi et de Parco avaient apporte meme parmi les soldats les plus
resolus. En voici un exemple: apres le passage du pont de l'Amiraglio,
un jeune volontaire, nomme Kiossoni, Messinois, et dont le pere avait
ete longtemps vice-consul de France en cette ville, se precipita, suivi
seulement de quelques camarades, sur une barricade qui barrait le
boulevard, a gauche de la porte de Termini, par laquelle les troupes
royales rentraient en desordre. Aucun defenseur n'y paraissait; mais,
arrives au sommet, ils virent de l'autre cote, a une cinquantaine de
metres, deux ou trois compagnies, l'arme au pied, qui, en apercevant les
casaques rouges, se debanderent immediatement dans toutes les
directions, laissant nos volontaires se frotter les yeux pour s'assurer
s'ils ne revaient pas.

Deux braves soldats napolitains etaient restes seuls cernes dans une des
maisons du faubourg, et, brulant jusqu'a leur derniere cartouche, ils ne
mirent bas les armes que sur les instances d'un compatriote, volontaire
dans l'armee de Garibaldi; ils furent parfaitement traites, et meme
fetes par leurs vainqueurs. Ces pauvres diables, pleurant presque de
rage, ne savaient de quelle expression fletrir les compagnons qui les
avaient abandonnes lachement.

L'aspect du faubourg etait pitoyable. Partout ou passaient les
Napolitains arrivaient l'incendie et le pillage. Leur fuite precipitee
ne les empecha pas de commettre dans la ville les atrocites qui avaient
desole le faubourg sur la route de Montreal.

Pendant que les Garibaldiens bousculaient devant eux les troupes
royales, s'appretant a les suivre dans Palerme, ils furent rejoints par
quelques volontaires Palermitains, mais peu nombreux. La plus grande
partie des jeunes gens et des hommes d'action avaient ete eloignes de la
ville ou exiles depuis longtemps par la police de Maniscalco.

Du reste l'expiation commencait deja pour ses agents. Plusieurs sbires,
qui essayaient de fuir pendant l'attaque, furent reconnus et echarpes a
cote du Jardin des Plantes.

Un autre, voulant forcer les factionnaires napolitains pour chercher son
salut dans la fuite, fut fusille par les siens qui le prirent pour un
transfuge.

Dans une petite et miserable habitation, pres du pont de l'Amiraglio,
vivait une pauvre famille; le pere, force par les soldats royaux d'aller
leur chercher de l'eau, fut malheureusement atteint d'une balle et tue
sur le coup. Un instant apres, sa maison etait brulee. Sa femme et ses
deux enfants n'ont jamais reparu. Tristes scenes qui palissent cependant
a cote de celles dont l'interieur de Palerme va etre le theatre.




II


Pour bien comprendre la manoeuvre hardie que ne craignait pas de tenter
le general Garibaldi, certain qu'il etait du courage et de la
determination de ses volontaires, manoeuvre qui devait d'un seul coup
lui donner gain de cause vis-a-vis de troupes demoralisees, il faut se
rendre compte de la situation topographique de Palerme, ainsi que des
positions qu'occupaient les Napolitains.

Jadis entouree de fortifications assez imposantes qui existent encore
pour la plupart, la ville a la forme d'un rectangle dont les cotes les
plus petits regardent, l'un la mer, et l'autre la campagne dans la
direction de Montreal et Parco. Les deux autres, qui ont au moins trois
fois le developpement des premiers, font face, l'un au mont Pellegrini
et aux campagnes de Castellamare, l'autre aux monts Gibel-Rosso et
Abbate. C'est de ce dernier cote que l'armee de Garibaldi se presentait
devant Palerme. Deux rues principales coupent presque a angle droit
l'espace occupe par la ville. L'une, la rue de Tolede, part du bord de
la mer, pres de la citadelle, et monte jusqu'au Palais-Royal; l'autre
vient couper la premiere a la place des Quatre-Cantons, presque au
centre de la ville, et aboutit a la porte qu'attaquait le general
Garibaldi. Chacune de ces voies partage Palerme en deux parties egales,
soit en longueur, soit en largeur. Les Napolitains ayant leurs forces
reunies aux deux extremites de la rue de Tolede, le Palazzo et la
citadelle, allaient donc trouver leurs communications coupees, si
Garibaldi pouvait, sans coup ferir, s'emparer de l'autre rue. Il avait
encore cet avantage, en occupant le centre de la ville, qu'il donnait la
facilite a tous les habitants de se replier sur sa ligne d'operations et
de s'y fortifier sans craindre d'etre eux-memes surpris par les troupes
royales et fusilles sans autre forme de proces. De plus, il empechait,
par cette audacieuse manoeuvre, le ravitaillement des troupes et de
l'artillerie du Palazzo-Reale, en les isolant de leur base d'operations
qui etait la citadelle et surtout l'escadre.

Aussi les troupes garibaldiennes, que nous avons laissees a la porte de
Palerme poussant devant elles les troupes royales, et s'arretant un
instant pour se reformer en epaisse colonne d'attaque, lancerent-elles
bientot plusieurs compagnies dans l'interieur de la ville pour nettoyer
les petites ruelles qui viennent aboutir a la porte dont on venait de
s'emparer; tandis que le gros de l'armee se jetait, tete baissee, dans
la grande voie pour gagner au plus vite la place des Quatre-Cantons. Ce
mouvement fut si energiquement execute qu'en moins d'une heure la place
des Quatre-Cantons, le reste de la rue et la porte qui est a
l'extremite, etaient au pouvoir des volontaires. Vainement les
Napolitains avaient essaye de les arreter en trois ou quatre endroits.
Par un choc irresistible et presque sans tirer un coup de feu, les
casaques rouges, chargeant a la baionnette, les obligeaient a ceder la
place et a se retirer en desordre vers la citadelle ou vers le
Palazzo-Reale. C'est en ce moment que l'escadre napolitaine, qui
jusque-la, s'etait contentee d'envoyer quelques boulets dans la
direction du faubourg attaque, commencait a prendre une position plus
serieusement offensive, et manoeuvrait pour trouver un mouillage
favorable a son tir. Mais deux fregates seulement parvinrent a
s'embosser; les autres, soit mauvaise volonte, ce qui est probable, soit
impossibilite, manquerent leur mouvement et resterent spectatrices des
evenements. Ces deux navires, parfaitement places et balayant la rue de
Tolede, commencerent immediatement sur la ville un feu violent, qu'ils
continuerent meme pendant la nuit. La citadelle, de son cote, ne
menageait ni ses bombes ni ses boulets.

Les barricades commencerent immediatement. Elevees par des mains
habiles, elles prirent en peu d'heures un developpement et un relief
incroyables. Il faudrait un volume entier pour en expliquer le reseau.
La nuit, qui arriva a temps pour seconder les travailleurs, fut bien
employee par les deux partis; car les Napolitains, de leur cote,
etablissaient des retranchements a toutes les issues venant aboutir au
Palazzo-Reale et a la citadelle.

Dans cette ville privee de lumiere, et ou toutes les maisons semblaient
abandonnees, on n'entendait alors que le bruit des pinces et des pioches
frappant les dalles des rues et quelques coups de feu echanges au hasard
de part et d'autre.

De temps en temps, des coups de canon partant de l'escadre, de la
citadelle et du Palazzo, jetaient une lueur rapide dans la rue de Tolede
et eclairaient sinistrement les travailleurs des deux partis. Sur les
deux heures du matin, plusieurs detachements de volontaires commencerent
a s'avancer par les rues laterales dans la direction du Palazzo-Reale,
ainsi que vers la place de la Marine et le ministere des finances du
cote de la citadelle. Ce ministere etait occupe par quatre bataillons.

La fusillade petilla bientot partout et la canonnade, qui ne tarda pas
a s'y joindre, donna a tous ces engagements partiels les proportions
d'une vraie bataille. Mais c'etait surtout aux abords du Palazzo-Reale
que le combat etait le plus vif.

Ou tirait a bout portant au milieu des flammes allumees par les bombes
et les obus de la citadelle ou de l'escadre. Peu d'habitants
apparaissaient pour se joindre aux troupes liberales. Ils ne trouvaient
sans doute pas la poire assez mure. Leurs maisons restaient
impitoyablement fermees, sauf celles qu'ouvrait le feu ou la troupe
napolitaine; car ces defenseurs de la royaute ne se faisaient faute ni
d'aider l'incendie quand ils ne l'allumaient pas eux-memes, ni de piller
sans scrupule, et la plume se refuse a retracer les actes d'atrocite
commis par ces bandes effrenees.

Cependant deux colonnes etaient parties en meme temps pour tourner les
positions de l'armee royale en l'attaquant par la Porta-Nuova et par la
Porta-Maqueda. L'une, commandee par Bixio, l'autre par La Masa. Bixio
s'empare d'abord de la caserne des Suisses, puis se porte vers la
caserne des Quatro-Venti ou il fait prisonniers plusieurs officiers
superieurs et un regiment.

Deconcertees par l'impetuosite de cette attaque, les troupes royales
commencerent a se replier en desordre sur la place du Palais-Royal dont
les abords etaient fortement gardes. La place de la Cathedrale, qui est
un peu avant celle du Palais-Royal en venant de la mer, devint alors le
theatre d'un combat acharne. Le couvent des Jesuites, a l'angle de la
rue de Tolede et de la place de la Cathedrale, occupe par un bataillon
de chasseurs a pied, est attaque et enleve rapidement.

Le general Lanza, qui commande les troupes du palais, voyant ce couvent
pris par les Garibaldiens, fait tirer dessus a obus et l'incendie. Le
palais Carini, situe en face, a le meme sort.

Les tours de la cathedrale elles-memes servent de point de mire a
l'artillerie napolitaine.

On voit insensiblement les couleurs nationales apparaitre partout. Les
fenetres qui peuvent donner vue sur les troupes royales sont garnies de
volontaires qui les deciment par leur feu.

On se bat a la fois au Palais-Royal, a la Cathedrale, dans la rue de
Tolede, a la place de la Marine, autour de la citadelle et dans tout le
quartier Paperito, ou l'incendie, allume par les bombes de la citadelle
et de l'escadre, fait de rapides progres. Deja beaucoup de detachements
royaux battent en retraite vers la citadelle par la place Caffarello et
la place de la Funderia. Ces detachements sont assaillis dans leur fuite
par une grele de balles, qui leur fait perdre beaucoup de monde.

La place des Quatre-Cantons etait devenue desormais la base des
operations de Garibaldi. Le general Tuerr occupait le palais du Senat.
L'etat-major de Garibaldi etait partout et se multipliait pour faire
face aux exigences de la position. On commence a pousser quelques
barricades du cote de la place de la Marine, pour attaquer
vigoureusement la brigade qui la defend. La fusillade devient tres-vive
entre le ministere des finances et les coins de rues qui lui font face.
Les vaisseaux napolitains continuent un feu terrible, mais plus
destructeur que meurtrier. A cinq heures, les troupes campees au palais
etaient bien et dument entourees et coupees. Completement maitre de la
partie de la ville comprise entre la Marine et le Palais-Royal,
Garibaldi n'avait plus qu'a se fortifier pendant la nuit, et a attendre
le lendemain. Palerme tout entier etait en insurrection. Les faiseurs de
barricades surgissaient de toutes parts.

A six heures du soir, le feu avait molli; mais, sur les sept heures et
demie, le bombardement recommencait avec plus de fureur. On se battait a
la lueur de l'incendie que les projectiles allumaient de toutes parts.

Pendant la nuit, les barricades se multiplierent et prirent un relief
imposant. Les volontaires se rapprochaient de minute en minute du
Palais-Royal, ou, de leur cote, les Napolitains se barricadaient de plus
en plus. Plusieurs bombes lancees par l'escadre, vinrent tomber au
milieu d'eux et causerent un grand desordre. Le 28, au matin, la
position des troupes royales etait celle-ci: treize a quatorze mille
hommes au Palazzo-Reale, deux ou trois mille hommes a la Marine et
plusieurs bataillons dans les prisons et les casernes; le reste dans la
citadelle. Dans la journee, ils furent forces d'abandonner toutes ces
positions, sauf celles du Palais-Royal et de la Marine. Le palais Carini
etait completement detruit. Tout le quartier qui est a l'est du
Palais-Royal brulait. Le bombardement continuait toujours. De nombreuses
bandes de _picchiotti_ descendaient les hauteurs et venaient se meler
aux volontaires. Vers le soir, on ne se battait plus qu'autour du
Palais-Royal, que les insurges commencaient a dominer du sommet des
maisons voisines, et entre autres de l'Archeveche. Partout les maisons
s'ecroulaient sous les bombes et les obus. La nuit, comme celle de la
veille, fut employee a se fortifier de part et d'autre. Le lendemain, au
lever du jour, plusieurs decrets du general Garibaldi etaient affiches:
ils punissaient de mort l'assassinat, le vol et le pillage, organisaient
la garde nationale, nommaient une municipalite provisoire, faisaient
appel aux enrolements. A midi, l'attaque du palais recommence avec
acharnement; les troupes royales quittent la place de la Marine et se
retirent dans la citadelle, abandonnant plusieurs canons. Vers le soir,
l'incendie est dans trois ou quatre quartiers de la ville. La nuit se
passe sur le qui-vive du cote des Garibaldiens; on s'attend a une
attaque resolue de la part des troupes qui reviennent de la poursuite
d'Orsini, ou elles ont ete si bien jouees. En effet, le lendemain matin,
elles viennent donner tete baissee sur la ville par la porte Reale, ou
elles sont recues par les troupes de Bixio qui les forcent a la
retraite. Vers midi, on parle d'armistice, et deux delegues du general
Lanza se rendent a bord de l'_Hannibal_, ou se trouvent reunis egalement
le commandant du _Vauban_ et celui d'une fregate americaine. Garibaldi y
vient de son cote avec Crispi, le colonel Tuerr et Menotti. On ne peut
s'entendre, et l'entrevue est bientot terminee. Cependant la convention
tacite d'armistice dure toujours.

Le lendemain 31, on annonce une treve de trois jours.

Plus de trois mille bombes avaient ete lancees sur la ville pendant le
bombardement. Le temps de l'armistice fut mis a profit par les
volontaires de Garibaldi et les habitants de Palerme. Les barricades
furent completees partout; les plus fortes recurent des canons. Quant
aux Napolitains, ils restaient bloques au Palais-Royal et manquaient
totalement de vivres; Garibaldi leur en fit donner. Il fit retirer
egalement, et emporter dans les hopitaux, tous leurs blesses, et Dieu
sait si le nombre en etait grand! On apprenait, en meme temps, l'arrivee
a Marsala d'un fort detachement de volontaires qui venaient grossir
l'armee nationale.

Trois ou quatre jours se passerent ainsi. Garibaldi coupant, taillant
administrativement, legislativement, militairement, financierement, et
le tout carrement et promptement.

Les decrets se suivaient avec une rapidite inouie et, certes, on ne peut
accuser ses ministres d'avoir occupe des sinecures.

Enfin, le six, le retour du general Letizia, arrivant de Naples,
termina les pourparlers et l'armistice provisoire fut remplace par une
capitulation en regle.

Les troupes napolitaines devaient evacuer immediatement toutes leurs
positions de la ville et se retirer dans la citadelle et sur le mole, ou
leur embarquement aurait lieu avec armes et bagages dans le plus bref
delai possible. Les prisonniers civils et militaires encore en leur
pouvoir devaient etre remis entre les mains du nouveau gouvernement, le
jour meme ou la citadelle terminerait son evacuation. Les troupes
campees au Palais-Royal durent donc traverser la ville pour rentrer a la
citadelle. Ces douze ou quatorze mille hommes etaient tellement frappes
de stupeur et decourages qu'au moment de s'acheminer, ou plutot de se
faufiler dans ce reseau de barricades qui les separait de la forteresse,
ils refuserent de marcher sans un sauf-conduit et une garde de casaques
rouges. Le general Garibaldi souscrivit a leur demande, et on vit cette
armee, avec artillerie, cavalerie, genie, etc., defiler tristement au
milieu d'une population exasperee, dont les regards, certes, n'avaient
rien de bien rassurant. Une centaine de volontaires formaient l'escorte,
protection du reste bien superflue. A peine entrees dans la citadelle,
ces troupes y furent consignees rigoureusement. Aussitot, d'ailleurs,
toutes les rues aboutissant a la forteresse furent murees jusqu'a la
hauteur du premier et du deuxieme etages, et les _picchiotti_,
montagnards, etc., vinrent d'eux-memes s'installer autour des remparts,
afin d'eviter toute espece de surprises.

Deja, depuis plusieurs jours, la cour de Naples prenait ses dispositions
pour l'evacuation des troupes de Palerme. On vit mouiller bientot, sur
la rade, une quantite de vapeurs remorquant des transports. Les blesses
et les malades partirent les premiers, puis vint le tour du materiel,
pele-mele avec les hommes. Toutes ces troupes, il faut l'avouer,
parurent peu touchees de leur defaite une fois qu'elles se virent sur le
pont des batiments. Leurs musiques ne cessaient de se faire entendre, et
ont les eut prises plutot pour des conquerants celebrant leur victoire
que pour des vaincus forces, par une poignee d'hommes, d'abandonner une
des plus belles provinces de la couronne qu'ils avaient ete appeles a
defendre. Ainsi vont les choses. Quoi qu'il en soit, l'evacuation marcha
grand train, et bientot devait venir le jour ou le pavillon national
serait arbore dans toute la Sicile.

Il faut maintenant jeter un coup d'oeil retrospectif sur tous ces
evenements, dont la marche rapide nous a fait negliger une foule de
faits qui doivent etre constates. Plus de trois cents maisons, brulees
dans le quartier de l'Albergheria par les troupes napolitaines battant
en retraite sur le Palazzo-Reale, n'offraient plus, au moment du premier
armistice, qu'un amas de decombres encore fumants. On trouvait a chaque
instant au milieu de ces debris, des cadavres a moitie calcines, car
les guerriers du roi de Naples avaient egorge femmes et enfants, et
pille, sans scrupule, tout ce qui leur tombait sous la main. Le couvent
des Dominicains blancs fut saccage, incendie, et les femmes qui s'y
etaient refugiees furent brulees toutes vives. On repoussait a coups de
fusil dans les flammes celles qui cherchaient a s'echapper. Des actes
atroces furent commis. En vain, les officiers cherchaient a rappeler
leurs soldats aux sentiments de l'honneur militaire. En vain,
quelques-uns mirent meme le sabre a la main pour empecher ces infamies.
Voyant leurs ordres comme leurs epaulettes meconnus, ils furent obliges
d'assister a ces horreurs. Le palais du prince Carini, en face de la
cathedrale, fut pille et brule. Les bombes aidant, il n'en restait plus,
le 1er juin, que d'informes debris menacant de crouler dans la rue de
Tolede. Les superbes magasins de M. Berlioz, dans la meme rue, etaient
completement detruits. Il en etait de meme du palais du duc Serra di
Falco. Un Francais, M. Barge, avait cru, en placant au-dessus de son
magasin nos couleurs nationales, qu'elles empecheraient sa maison d'etre
pillee; un officier napolitain donne l'ordre a un clairon de monter
enlever le pavillon. Il est lacere, foule aux pieds; la porte de la
maison enfoncee, et M. Barge, rosse de main de maitre avec la hampe meme
de son pavillon, fut emmene en prison sans autre forme de proces, tandis
que, naturellement, sa maison etait pillee. Un autre compatriote, M.
Furaud, maitre de langues, pere de six enfants, est assailli dans sa
maison, assassine a coups de baionnette; quant a ceux-ci, on les a
vainement cherches, ils ont disparu. La demeure du premier commis de la
chancellerie fut violee, et les portraits de l'Empereur et de
l'Imperatrice, qui se trouvaient dans un salon, dechires a coups de
baionnette. Le couvent de l'Annunziata et presque toutes les maisons de
la rue qui mene a la Porta-di-Castro ont ete incendies et pilles. Celui
de Santa-Catarina, dans la rue de Tolede, a eu le meme sort. On estime a
plus de quatre cents le nombre des malheureux qui ont ete assassines ou
brules. C'est encore en dehors de la Porta-Reale, dans ce beau faubourg
rempli de ravissantes habitations de campagne, que s'est exercee a
l'incendie et au pillage cette armee de triste memoire. Ce ne sont ni
une ni deux maisons choisies; c'est tout le cote droit du faubourg, en
allant a Montreal, dans lequel les Napolitains ont laisse, par
l'incendie et le pillage, la trace de leur retraite.

Leur empressement et leur joie, en quittant enfin Palerme, n'ont donc
rien qui doive surprendre. Le commandant d'un des transports qui les
emmenaient a Naples les a vus compter et enumerer leur butin dans une
partie de cartes improvisee le soir sur le gaillard d'avant. Plusieurs
de ces heros jouaient vingt piastres sur table, ou, pour mieux dire, sur
le pont.

Dans une petite maison qui a voisine le Palazzo-Reale, un infortune
coutelier, ou quincaillier, est assailli a l'instant ou il sortait sans
armes pour tacher d'avoir un morceau de pain pour trois enfants qui
criaient la faim. A peine dehors, malgre toutes les explications qu'il
veut donner, il est saisi, garrotte, et on se dispose a l'entrainer pour
le fusiller. Les pauvres enfants arrivent, demandant leur pere. Une
decharge le jette en bas avec deux de ses enfants; le troisieme est tue
d'un coup de baionnette. Assez de ces horreurs, il y en aurait trop a
citer. En parcourant ces maisons mutilees, ces decombres sanglants, en
voyant, ca et la, les extremites des cadavres ensevelis sous les ruines,
les debris de vetements, que de drames ne doit-on pas supposer! Et si
chacun de ces malheureux pouvait revenir a la vie, quelle longue file de
forfaits se dresserait criant vengeance et stigmatisant d'infamie cette
armee qui semblait n'avoir pour devise, en ce moment, que pillage et
incendie!

Pendant les divers combats qui signalerent la prise de Palerme, les
pertes furent sensibles de part et d'autre. Celles de l'armee royale
doivent etre portees, au minimum, a deux mille hommes, tues ou blesses;
parmi eux se trouvaient plusieurs officiers superieurs, entre autres le
commandant de la gendarmerie, generalement deteste a Palerme, comme tout
ce qui tenait a la police, mais auquel il faut cependant rendre cette
justice qu'il s'est conduit bravement. Quant aux volontaires, leurs
pertes avaient aussi ete sensibles. Le brave colonel hongrois Tukery,
grievement blesse a l'attaque du Palazzo-Reale, mourait le 11 juin,
apres d'atroces souffrances. Carini, dangereusement atteint d'une balle
qui lui fracturait le bras presque a la hauteur de l'epaule, au moment
ou, envoye par le general Garibaldi, il examinait, sur une barricade,
les troupes napolitaines operant leur retour offensif, etait couche pour
longtemps sur un lit de douleur. Pres de trois cent cinquante soldats
etaient tues ou hors de combat.

Plusieurs corps de volontaires s'etaient fait remarquer par l'energie de
leur courage. Les chasseurs des Alpes, a Palerme comme a Calatafimi,
firent des prodiges de valeur. A l'attaque du couvent des Benedittini,
ils ont ete superbes d'entrain et de fermete. Une seule compagnie de
trente-cinq hommes avait eu, depuis son depart de Marsala, vingt-deux
tues ou blesses. Il se passa au milieu de ces combats un episode qui,
tout en etant fort original, ne manque pas d'une certaine grandeur.

En tete de beaucoup de detachements de volontaires ou d'habitants de
Palerme se trouvaient des moines qui, la croix a la main, et payant de
leur personne, entrainaient au feu jusqu'aux moins resolus. Le _padre_
Pantaleone, que Garibaldi avait nomme son chapelain a Calatafimi, se
trouvait, au moment le plus chaud de l'action, sur la place de la
Cathedrale, a l'angle de la rue qui passe devant l'archeveche. Se
souciant moins des balles que de l'excommunication, qu'il avait naguere
si lestement conjuree, notre moine guerrier, avec sa figure exaltee et
intelligente, encourageait bravement son monde et il etait facile de
lire dans ses yeux que, s'il ne mettait pas les mains a la besogne, ce
n'etait pas par timidite.

Cependant, malgre le feu soutenu des volontaires, la barricade
napolitaine attaquee tenait toujours. Les balles allaient leur train,
demolissant, par-ci par-la, quelques jambes, quelques bras, au grand
desespoir de notre aumonier qui ne menageait pas les anathemes a
l'ennemi, chaque fois qu'il voyait tomber un de ses braves volontaires.
Le _padre_ Pantaleone portait une grande croix de chene d'au moins deux
metres de haut et, dans les instants difficiles, il la brandissait
vigoureusement au-dessus de sa tete. Las, enfin, de cette fusillade qui
n'aboutissait a rien, notre chapelain s'elance, sans souci ni vergogne,
tout seul, sur la barricade napolitaine, en grimpe les etages successifs
au milieu d'un _miserere_ de balles coniques, puis, arrive au sommet, se
met, dans son langage le plus sympathique, a faire aux soldats de
Francois II un discours approprie a la circonstance: il cherche a leur
expliquer brievement comme quoi cette guerre fratricide est honteuse
pour l'humanite, comme quoi Dieu la defend, comment enfin la resistance
est inutile puisque Garibaldi est l'ange de la liberte et que le Dieu
des armees marche avec lui.

Les soldats royaux, etonnes de cet aplomb et du courage du predicateur,
finissent par laisser leurs cartouches tranquilles et leurs fusils se
refroidir. On en etait meme au plus pathetique du discours, lorsque le
capitaine qui commandait s'apercoit que les Garibaldiens, en gens bien
avises, profitaient insensiblement de la situation et touchaient deja la
barricade. Il saisit une arme, couche en joue le _padre_ Pantaleone qui
ne bronche pas et lui envoie a bout portant un coup de fusil qui brule
son froc et lui brise la croix dans les mains. Sans s'emouvoir, le
_padre_ en ramasse les morceaux pendant que les Garibaldiens escaladent
la barricade. Les soldats se hatent de decamper et le capitaine est tue.
Un volontaire saisit son sabre, le _padre_ Pantaleone attrape le
ceinturon, le passe en sautoir, et, se precipitant a la suite des
fuyards, il plante le troncon de sa croix dans le ceinturon du defunt
capitaine en s'ecriant, de sa plus belle voix: "Allez, allez, sicaires
d'un tyran, reporter a votre maitre que le _padre_ Pantaleone a mis la
croix la ou etait l'epee."

C'est le sens sinon le texte de ses paroles, car notre langue est pauvre
pour traduire quelques expressions un peu emphatiques du bel idiome
italien. Un autre moine, de l'ordre des Cordeliers, fit, sur la place de
la Marine et pendant plus de deux heures, le coup de feu avec quatre
soldats napolitains embusques dans une construction commencee presque en
face du ministere des finances. Au bout de ce temps, on vit un de ces
soldats rallier eu toute hate un fort peloton qui etait au coin du
ministere. Le cordelier en conclut que, si les autres ne s'en allaient
pas, puisqu'ils ne tiraient plus c'est qu'il devait leur etre arrive
des choses graves et que leur position etant fort hasardee, vu la
quantite de projectiles qui pleuvaient dru comme grele, il etait de son
devoir, a lui, d'aller les trouver pour leur porter les consolations de
son ministere. Il posa tranquillement son fusil, rejeta son froc en
arriere et traversa la place pour disparaitre dans la batisse en
question. Quelques instants apres, on le vit reparaitre avec un blesse
qu'il portait comme un enfant. Trois fois il fit le meme voyage, trois
fois il ramena son homme; la derniere fois, a l'instant ou il
franchissait sa barricade, la meme balle qui lui fracassait le bras,
tuait roide l'infortune pour lequel il se devouait. Sans s'emouvoir, il
posa a terre son fardeau, lui recita les prieres des morts et s'en fut
ensuite a l'ambulance.

Un jeune volontaire venitien, deja blesse assez gravement a Calatafimi,
se precipite a l'attaque du couvent des Benedittini et s'efforce, a
coups de hache, de briser une petite porte laterale pouvant donner acces
dans le couvent. Les balles pleuvent sur lui de toutes parts, un obus
vient, en ricochant, eclater au-dessus de sa tete et le couvrir de
gravats. En vain ses camarades le rappellent. "Je ne suis plus bon qu'a
etre tue, leur crie-t-il, au moins, en mourant, je rendrai encore un
service." Exaltes par cette intrepidite, deux d'entre eux le rejoignent
et cherchent a l'entrainer. En ce moment, un canon de fusil passe par
une fenetre immediatement au-dessus de la porte et le malheureux recoit
le coup en pleine poitrine. Ses camarades ne rapportent qu'un cadavre.

Dans les rues qui menent a la Piazza di Bologni, la lutte fut serieuse.
Les soldats royaux, comme partout ailleurs, incendiaient et pillaient.
Les malheureux habitants de ce quartier, eperdus d'effroi, essayaient de
fuir dans toutes les directions, entrainant femmes et enfants; ce
n'etaient partout que gemissements et lamentations. Quelques hommes
determines se reunissent en armes a l'angle d'une petite impasse, en
occupent la maison et s'y barricadent apres y avoir donne l'abri a
quantite de femmes et d'enfants. Quelques instants apres, cette maison
est attaquee; mais on s'y defend vigoureusement. Les femmes, reprenant
courage, font pleuvoir sur les assaillants une grele de tuiles, de vases
de toutes sortes, enfin ce qui leur tombe sous la main.

Une bombe vient s'abattre sur le toit, entraine le troisieme et le
quatrieme etages, et, en eclatant, tue et blesse encore plusieurs femmes
et des enfants. Quelques moments apres, les flammes viennent se joindre
aux balles napolitaines.

De huit qu'ils etaient, les assieges ne comptent plus que cinq hommes,
dont un blesse. Cependant, des femmes, des enfants, des vieillards les
supplient de ne pas les abandonner. Il faut prendre un parti; le blesse
et un de ses camarades grimpent au faite de l'edifice qui menace ruine;
on y hisse, les uns apres les autres, les malheureux refugies, et,
lorsque tous sont a l'abri dans une maison dont l'issue donne sur une
rue inoccupee par l'armee royale, les trois braves gens qui continuaient
a lutter avec les royaux, battent eux-memes en retraite, n'abandonnant
qu'une ruine ensanglantee.

Des le 8 juin, des debarquements de volontaires s'effectuaient un peu
partout.

Du 9 au 11, une petite escadre partait de Genes. Elle se composait de
l'_Utile_, remorquant le _Charles and Jane_, le premier commande par le
capitaine Molessa, le second par le capitaine Quain; puis venaient le
_Franklin_, capitaine Orrigoni, un des anciens compagnons d'armes de
Garibaldi dans la Plata; l'_Orregon_, capitaine West; le _Washington_,
dont les volontaires etaient commandes par le colonel Baldeseroto.
Environ 3,000 hommes etaient repartis sur ces differents navires et
c'etait le renfort le plus considerable que l'on eut encore recu. Medici
commandait en chef.

Partis a quelques heures d'intervalle, ces navires firent des routes
diverses pour atteindre Cagliari ou etait le rendez-vous general. Tous y
arriverent heureusement, excepte l'_Utile_ et le batiment qu'il
remorquait.

Se trouvant dans le N.-E. du cap Corse, a environ douze milles au large,
ces deux navires furent approches par une corvette a vapeur battant
pavillon francais. Bientot un canot accosta et un officier, s'exprimant
parfaitement en francais, vint demander ou l'on allait et offrir meme la
remorque de son batiment pour gagner les cotes de Sicile, si telle
etait la destination des navires. Ces propositions furent accueillies
par les volontaires aux cris de _Vive la France!_ _vive Garibaldi!_
Toutefois le capitaine crut devoir refuser la remorque offerte si
galamment. Le canot retourne a son bord; mais a peine est-il arrive
qu'un changement a vue s'opere sur la corvette de guerre. Les mantelets
des sabords, rapidement abaisses, laissent apercevoir les pieces
detapees et l'equipage en branle-bas de combat. Le pavillon francais
glisse le long de sa drisse et est remplace par le pavillon napolitain
en meme temps qu'un coup de canon a boulet signifiait aux deux navires
l'ordre de stopper et d'amener leurs pavillons.

L'_Utile_ portait le pavillon piemontais et le _Charles and Jane_, celui
des Etats-Unis. Les capitaines se refuserent a amener leurs pavillons,
mais ils durent se resigner a se laisser emmener, non sans protester.
Quel triste moment eussent passe les marins de la _Fulminante_ (c'est le
nom de la corvette napolitaine), si les volontaires avaient pu sauter
sur son pont. Faute de mieux, ils leur lancerent toutes les maledictions
que le vocabulaire italien peut offrir. Pendant que la diplomatie
s'occupait de cette affaire, les autres batiments de l'expedition
atteignaient Cagliari, et, de la, mettaient le cap sur Castellamare,
dans le golfe de ce nom, ou devait s'effectuer leur debarquement. Le 18
juin, en effet, on apprit a Palerme l'arrivee du convoi de Medici. Un
navire debarquait ses troupes a Santo-Vito, et les deux autres a
Castellamare. Il est aise de se figurer l'allegresse generale en
apprenant l'arrivee a bon port de cette petite division qui, outre trois
mille hommes aguerris, apportait encore dix mille fusils et une grande
quantite de munitions. Aux illuminations quotidiennes se joignirent
immediatement toutes sortes de concerts en plein vent, des promenades
aux flambeaux avec force drapeaux et force _Viva la liberta_!

Le general Garibaldi etait immediatement monte a cheval pour assister au
debarquement de ces renforts.

Mais, vers minuit, au moment ou le calme commencait a se faire, grace a
la fatigue des musiciens et a l'enrouement des criards, a l'instant,
enfin, ou les illuminations commencaient a s'eteindre et les habitants a
s'endormir, quelques coups de canon de fort calibre se firent entendre
au large et vinrent eclairer de leur lueur sinistre les sommets du mont
Pellegrini, ainsi que les matures des navires qui etaient sur rade. A la
premiere detonation, chacun dresse l'oreille; a la seconde, on saute de
son lit; a la troisieme, on est presque habille, enfin, a la quatrieme,
les fenetres et les portes commencent a s'ouvrir, les femmes a trembler
et les enfants a piailler. Dans les rues, les factionnaires regardent si
leurs amorces sont bien on place et redoublent leurs cris de:
_Sentinelles, veillez!_ Les bourgeois se groupent a chaque carrefour, et
les suppositions vont leur train. Dans les casernes, les clairons
ecorchent les airs les plus varies pour appeler aux armes les
volontaires. Enfin, au palais, tout le monde s'inquiete, et le
commandant, en l'absence du general Garibaldi, commence a envoyer dans
toutes les directions des ordonnances a la recherche des nouvelles.

Quelle voix mysterieuse annonce tout dans ces circonstances? On apprend
bientot qu'il n'est arrive que trois navires a Castellamare. Le
quatrieme et son remorqueur manquent.

La canonnade devient plus vive, elle semble parfois se rapprocher de
l'entree du port de Palerme.

On sent s'agiter dans l'ombre toute cette ville surprise dans son
premier sommeil. Parmi les suppositions, la plus probable est que la
croisiere napolitaine, apres s'etre emparee du navire manquant et
qu'elle fait semblant de combattre en ce moment, se dirigera vers ceux
qui debarquent. Tout le monde court et s'agite. Les postes en armes se
dirigent vers le quai. On entend tomber, ca et la, sur les dalles des
rues, les baguettes des fusils charges par des mains encore
inexperimentees. Enfin, de sourds pietinements, venant du cote des
casernes, indiquent que les troupes sont en marche. Malheureusement,
l'ame de toute l'armee est absente; le general Garibaldi est a
Castellamare.

Les decharges continuent toujours, plus multipliees et plus rapprochees.
Il est deux heures. L'inquietude est a son comble. On se voit deja a la
veille d'un nouveau bombardement.

Autour de la citadelle, on a peine a retenir les _picchiotti_ qui
veulent se precipiter a l'assaut de ces remparts, degarnis de leurs
engins de guerre, pour se venger sur les troupes napolitaines des
evenements qu'on suppose se passer au large. Enfin, a deux heures un
quart, un canot arrive a force d'avirons sur le quai, et un midshipman
qui en debarque previent que l'on ait a aviser les autorites que le
canon que l'on entend est celui d'une fregate britannique qui fait
l'exercice au large. Ce trait peint-il assez les Anglais? Entre une et
deux heures du matin, a quelques milles a peine d'une ville qui vient de
subir les horreurs d'un bombardement et qui, encore tout en emoi, se
remet a peine des terreurs du combat et de l'incendie, aller faire
branle-bas de combat de nuit et exercice a feu! Et que dire de ces
pauvres soldats napolitains enfermes dans la citadelle et non moins
inquiets que les habitants de la ville, car ils entendaient du haut de
leur bicoque desarmee les imprecations et les cris de vengeance de leurs
ennemis!

Que fut-il arrive si l'on n'eut pu retenir les _picchiotti?_ et, quel
qu'eut ete le resultat de leur attaque, que de sang pouvait etre verse,
et pourquoi? Enfin, a trois heures du matin, tout etait rentre dans le
calme.

Le 20, au matin, le premier detachement des volontaires debarques
arrivait a Palerme a cinq heures environ. C'etaient deux magnifiques
bataillons de chasseurs a pied, parfaitement uniformes et bien equipes,
armes de carabines rayees et paraissant remplis de gaiete et d'entrain.
Le 21 et le 22, le restant des troupes debarquees suivait le mouvement
et venait prendre ses casernements en ville.

L'enthousiasme avec lequel chaque nouveau corps arrivant etait recu est
indescriptible. Les bouquets et les applaudissements se succedaient sans
interruption sur la route qu'il parcourait.

Le corps des guides s'organisait rapidement. Une commission de remonte
avait ete installee et fonctionnait avec activite. Bientot leurs deux
escadrons furent complets, et on s'occupa de la formation de deux
regiments de hussards.

Toutes les statues rappelant l'ancien gouvernement avaient ete brisees
des les premiers jours, et leurs debris jetes a la mer. Le 6 juin, un
decret du general Garibaldi faisait adopter par la patrie les enfants et
les familles des volontaires tues pendant la guerre.

Le 8 et le 9, une forte escadre sarde venait mouiller sur rade, et
apportait a Garibaldi un appui moral immense.

On avait appris les evenements de Syracuse et de Catane, qui etaient
venus encore surexciter l'enthousiasme des habitants de Palerme et des
volontaires.

Le 9, on avait connaissance de l'evacuation de Trapani par les troupes
royales. La prison d'Etat du fort de Favignano, sur l'ile de ce nom,
abandonnee par sa garnison, fut ouverte par les habitants de l'ile, qui
s'empresserent de mettre en liberte tous les prisonniers politiques.

On apprenait aussi le pronunciamento de Girgenti, de Caltanisetta, qui
avaient chasse les prefets royaux et leurs troupes, organise leurs
gardes nationales et ouvert immediatement des souscriptions dont ils
envoyaient les fonds au dictateur.

Tout allait donc pour le mieux, et l'evacuation, qui continuait grand
train, allait amener bientot la remise de la citadelle. En effet, le 18
au soir, a la nuit tombante, le pavillon napolitain fut amene. Le
lendemain matin, vers les neuf heures, les couleurs italiennes etaient
hissees en tete du mat de pavillon a la porte d'entree du fort qui etait
lui-meme remis aux delegues du general Garibaldi, et occupe
immediatement par un poste de chasseurs des Alpes.

Il restait cependant encore vers le mole une certaine quantite de
troupes a embarquer; mais a une heure, les derniers hommes rejoignaient
les navires, et toute l'escadre napolitaine appareillait. Peu de temps
auparavant avait eu lieu la remise des prisonniers palermitains retenus
dans le fort depuis le 4 avril. Ces prisonniers, appartenant aux
premieres familles de la cite, etaient: le prince Antonio Pignatelli, le
baron di Calabria, le _padre_ Octavio Lanza, le marquis Santo-Giovanni,
le prince Nisciemi, le prince Giardinelli, le baron Rizzo, etc.

Toute la ville s'etait donne rendez-vous devant la citadelle pour les
recevoir.

Accueillis par des cris frenetiques, les prisonniers furent portes,
plutot qu'escortes, vers les voitures ou leurs familles les attendaient.
Un long cortege d'equipages, les musiques civiles et militaires de
Palerme, des detachements de tous les corps de volontaires et de
nombreux _picchiotti_ remplissaient les rues avoisinantes. Dans leur
parcours, jusqu'au Palais-Royal, ce ne fut qu'une longue ovation. Les
prisonniers etaient litteralement ensevelis sous les fleurs qu'on leur
jetait de toutes parts. On dansait, on sautait et on s'embrassait aux
abords du cortege, en tete duquel marchait, ou plutot gambadait, tout le
monde a pu le voir, plus d'un grave cordelier a la robe de bure qui
envoyait a la fois des benedictions avec ses mains et des entrechats
avec ses pieds. C'etait, en un mot, la folie de l'ivresse et un coup
d'oeil magique. Pas un cri, pas une figure qui ne fut a l'unisson de
l'allegresse commune, et, ce qui est plus remarquable, on n'eut pas a
deplorer le plus petit accident dans ce brouhaha et dans cette cohue.

De nombreux deserteurs napolitains restaient en ville, la plus grande
partie demandant a etre incorpores dans les volontaires.

En resume, le nombre des morts en ville etait de 573; celui des
volontaires, de pres de 300, et celui des Napolitains, de 5 a 600 tues
et 1,500 blesses.

Le chiffre des degats dans la ville s'elevait a plus de 30 millions.

Comme on pourrait taxer d'exageration le recit des atrocites commises
par les troupes royales, il est bon de citer, entre autres documents, le
rapport du vice-amiral anglais Mundy.

"A bord de l'_Hannibal_, a Palerme, 3 juin."

"_Le vice-amiral Mundy au secretaire de l'Amiraute._"

"Je vous adresse le rapport suivant sur les degats et les morts causes
dans la ville par le bombardement. Les ravages sont epouvantables. Tout
un quartier, d'une longueur de mille yards sur cent de large, est reduit
en cendres. Des familles entieres ont ete brulees vivantes avec les
batiments. Les troupes royales ont commis d'horribles atrocites. Dans
d'autres parties de la ville, des couvents, des eglises et des edifices
isoles ont ete detruits par les bombes. On en a lance onze cents de la
citadelle sur la ville, et environ deux cents des navires de guerre,
sans compter les boites a feu, la mitraille et les boulets.

"L'armistice a ete indefiniment prolonge, et l'on espere que les
puissances europeennes s'interposeront pour empecher une plus longue
effusion de sang.

"La conduite du general Garibaldi, pendant l'action et depuis la
suspension des hostilites, a ete noble et genereuse."




III


C'est ainsi que le 30, au matin, dans la bonne ville de Palerme, tout le
monde se levait, aspirant a pleins poumons l'air de la liberte. Ses cent
quatre-vingt-dix mille habitants pouvaient causer de tout impunement, et
s'en donner a crier: A bas Francois II! A bas les Napolitains! sans que
le moindre sbire vint leur mettre la main au collet et les conduire,
avec accompagnement de coups de trique, jusque dans de jolis petits
cachots bien noirs et bien infects.

Les couleurs italiennes flottaient partout, et, sauf les deserteurs, il
ne restait pas en ville, ni dans la citadelle, l'ombre d'un guerrier du
roi Francois II. Bien plus, afin d'effacer jusqu'au souvenir de la
domination napolitaine, une quantite innombrable de jeunes patriotes de
huit a douze ans,

    La valeur n'attend pas le nombre des annees,

avaient attaque, a grands coups de cailloux et de marteau, les deux
statues de Francois II et de son pere que, dans un moment d'epanchement,
la ville de Palerme avait fait elever sur la promenade de la Marine. En
moins d'une heure, elles etaient reduites en morceaux et leurs debris
jetes a la mer. On avait seulement conserve les deux tetes, dont l'une,
je ne sais si c'est celle du pere ou du fils, fut coiffee d'une tete de
boeuf a laquelle, bien entendu, on avait eu soin de laisser les cornes.
Ces trophees furent promenes par la ville avec grand renfort de fusees
et de petards, et le soir ce fut le pretexte d'une immense promenade aux
flambeaux. Triste spectacle pour quelque opinion que ce soit!

A partir de ce bienheureux jour, la ville commenca a depouiller sa
parure guerriere. Les dalles, amoncelees en barricades, durent
rechercher leur ancienne place et les reintegrer. Quelques-uns des
canons qui armaient ces fortifications passageres rentrerent a
l'arsenal, tandis que d'autres, plus modestes, reprirent leur humble
etat de bornes, car il est bon de noter que plusieurs de ces engins de
destruction auraient ete bien plus dangereux pour leurs propres
artilleurs que pour l'ennemi. Apres avoir servi longtemps a amarrer les
bateaux sur le port, ils s'etaient vus, une belle apres-midi, deterres
et plus ou moins volontairement forces de reprendre de l'activite. Les
malheureux etaient hors d'age cependant, et, certes, avaient bien merite
les invalides a perpetuite. Il y en avait un qui datait de 1666.

Toute la population, affairee, recommencait a circuler avec plus
d'entrain que jamais, pele-mele avec les _picchiotti_ et les volontaires
garibaldiens. Mais, si le danger du bombardement etait passe, si l'on ne
craignait plus les balles coniques napolitaines, on n'etait pas encore a
l'abri de tout danger, et c'est le cas de dire, puisque nous sommes en
Sicile, qu'on etait presque tombe de Charybde en Scylla.

Les braves volontaires de Garibaldi eux-memes y regardaient a deux fois
avant de s'aventurer dans les rues ou les places publiques. Il est, en
effet, impossible de se figurer le laisser-aller plein de desinvolture
et d'insouciance de ces bons _picchiotti_ et montagnards, qui
promenaient partout leurs escopettes chargees, amorcees et armees. De
quelque cote que l'on se tournat, en avant, en arriere, sur le flanc
droit ou sur le flanc gauche, on etait toujours sur d'etre regarde en
face par une arme a feu quelconque, au chien releve, a la petite capsule
brillant au soleil. Or, comme on connaissait les qualites de ces armes,
qui partaient tres-volontiers au repos, leur voisinage etait peu
agreable. A tout instant on entendait, dans les rues, des detonations
qui faisaient courir le monde: c'etait toujours un _picchiotti_ etourdi
qui, ici, venait de casser la jambe a un homme, la, de tuer une femme
allaitant son enfant. Les plus adroits se contentaient de blesser les
anes ou de briser les vitres d'un magasin.

Dans la campagne, c'etait mieux encore. Une fois l'ennemi parti, chacun
aurait rougi de ne pas se montrer arme jusqu'aux dents. Il n'y avait pas
jusqu'aux maraichers qui n'apportassent leurs choux et leurs carottes en
compagnie d'une canardiere ou deux. Cela a dure longtemps; mais les plus
belles choses ont une fin. Sans froisser trop ouvertement et d'un seul
coup l'amour de ces braves gens pour leurs armes favorites, on commenca
par leur signifier qu'ils n'eussent a circuler dans la ville qu'avec
leurs chefs particuliers. Un caporal etait, au moins, de rigueur. Puis
on les engagea a aller promener leurs armes dans les montagnes, ou le
grand air leur ferait du bien. On ne manqua cependant pas d'offrir, a
ceux qui voulaient faire au pays le sacrifice de leur vie, de s'engager
dans les troupes regulieres, ou dans la legion anglo-sicilienne. Mais
c'etait une affaire de pure politesse, car fort peu se sentirent pris
d'une passion assez belliqueuse pour suivre le nouveau drapeau du pays.
N'y avait-il pas la, tout pres, avec son grand air et sa liberte, la
montagne et les bandes de pillards et de voleurs de grands chemins qui
s'organisaient un peu partout, car les troupes royales avaient eu soin
de lacher par monts et par vaux tous les voleurs, galeriens et autres
gens declasses qui fourmillaient dans les prisons de Palerme.

Des le lendemain de l'evacuation, un decret municipal appela toutes les
corporations de la ville et toutes les pelles, pioches, brouettes,
pinces disponibles, a la destruction de la citadelle. Elle devait etre
rasee de fond en comble afin d'oter a tout jamais a une tyrannie
quelconque l'envie, l'idee, ou la possibilite d'un nouveau bombardement.
C'etait quelque chose de curieux que l'entrain, et, en meme temps,
l'inexperience qui presiderent au commencement de ce travail.
L'affluence etait telle que les travailleurs, agglomeres les uns sur les
autres et en masse serree sur les remparts, ne pouvaient plus bouger. On
fut oblige de faire des categories. Un jour, c'etait le tour des cochers
de fiacre, de bonne maison, de voitures de louage, etc. Tant pis pour
ceux qui voulaient une voiture. A quelque prix que ce fut, on n'eut pas
trouve un vehicule, et les Garibaldiens qui, pas plus que nos turcos, ne
dedaignaient le plaisir d'une promenade en carrosse, durent y renoncer
et se contenter de leurs jambes. Le lendemain, c'etait le tour des
congregations, couvents, etc. Une longue procession de cordeliers, de
moines, de dominicains, voire meme de pretres, marchait militairement au
son d'une musique bruyante et de tambours feles; armes, qui d'une
pioche, qui d'une pelle; les petits seminaristes avaient la specialite
des mannequins et des paniers a gravats. Tout cela hurlant: _Viva
Garibaldi! viva la Italia! viva la liberta! viva ..._ Il y en avait qui,
sur le point de se tromper par la force de l'habitude, n'avaient que le
temps d'avaler la fin de la phrase. Les abbes titres et autres se
contentaient de brandir des oriflammes aux couleurs nationales et de
jeter des benedictions a la foule qui, la bouche beante, les regardait
defiler.

Un coup de canon annoncait l'ouverture et la fermeture des travaux.
Aussitot la premiere detonation, un nuage de poussiere couronnait la
citadelle, et ce n'etait plus, aux environs, qu'une avalanche et une
pluie de gravats. Cela dura plusieurs jours ainsi. Mais un accident
troubla la fete; on ne sait par quel hasard plusieurs bombes enfouies
dans les decombres se prirent a eclater, et a tuer ou blesser quelques
travailleurs. L'enthousiasme des demolisseurs s'en ressentit et, a
l'avenir, des ouvriers seuls procederent a cette destruction. A chacun
son metier. Mais s'il etait facile de demolir, il etait moins aise de
reparer. C'est a grand'peine que plusieurs rues commencaient a devenir
praticables. De tous cotes il fallait solidifier des edifices menacant
ruine, ou achever la destruction de ceux qui, effondres completement,
n'offraient plus la possibilite d'aucune reparation. Tels etaient le
palais Carini, le couvent des Dominicains, le palais du duc Serra di
Falco, les magasins Berlioz, etc. La piazza Marina etait devenue
impraticable a la hauteur de la rue de Tolede. Les egouts, effondres,
s'etaient transformes en precipices dont il fallait se garer avec soin.
Une fois les illuminations eteintes, il n'etait pas prudent de se
hasarder dans ces parages sous peine de chutes desagreables.

Il existait a Palerme, comme dans tous les grands centres, un vaste
depot d'enfants trouves. Il y en avait de grands, de petits, de moyens.
Un beau jour, grace a un officier anglais, tout cela fut embrigade,
embataillonne, et on vit ce diminutif de regiment, gravement arme de
balais emmanches dans des fers de piques, manoeuvrer sur la piazza del
Palazzo-Reale, et monter la garde avec aplomb a la porte d'un couvent
quelconque dont on avait fait leur caserne. Ces enfants jouaient aussi
carrement au militaire qu'ils jouaient, quelques jours avant, a la
procession et a servir la messe, et plus d'un de ces bambins, partis
avec les brigades expeditionnaires, fit parfaitement la campagne, et se
conduisit dans maintes circonstances en troupier fini.

La liberte est pour tout le monde. Aussi, la population mercantile de
Palerme en usa-t-elle pour etriller de main de maitre ces pauvres
volontaires qui, naturellement, affluaient dans tous les etablissements
publics, les cafes et les restaurants. Presque immediatement, le prix
des consommations doubla. Il en fut de meme pour tous les objets
necessaires a la vie et a l'habillement. Quelques decrets chercherent a
arreter, mais en vain, cette tendance a la rapacite, naturelle aux
boutiquiers de toutes les nations, et les liberateurs garibaldiens
furent ecorches avec aussi peu de vergogne que nos troupiers pendant la
campagne d'Italie. Le moindre verre d'eau, le moindre grain de mil,
etaient une affaire importante. Quelquefois les Garibaldiens se
fachaient; mais il faut leur rendre cette justice, que jamais armee ne
souffrit avec plus de moderation les exigences de cette race de Banians.
Peu de troupes, quelque regulieres qu'elles fussent, auraient montre
autant de patience et de respect pour la propriete.

De deplorables scenes vinrent aussi, a cote de ces evenements
heroi-comiques, attrister les honnetes gens et les veritables patriotes.
D'atroces assassinats se commettaient journellement, et, sous le
pretexte de detruire les sbires, plus d'une vengeance s'exercait
impunement. A cinq heures du soir, en pleine rue de Tolede, un
malheureux etait massacre a la porte d'un pharmacien qui lui avait
impitoyablement ferme sa boutique au nez. Vainement deux ou trois
Garibaldiens essayerent de le sauver, et allerent meme jusqu'a degainer.
Menaces dans leur existence par cette cohue meurtriere, ils durent se
resigner a laisser massacrer ce malheureux, dont le corps, palpitant
encore, fut traine et precipite a la mer.

--"C'etait un sbire, disait-on.--Vous croyez?--On le dit.--Ah!"--C'etait
fini.

A cote du pont de l'Amiraglio, pres du cimetiere des supplicies, la ou
commencerent les Vepres siciliennes, deux hommes, une femme et un
enfant, poursuivis par une foule furieuse et avide de sang, furent
impitoyablement immoles. Le lendemain, les cadavres de ces infortunes
etaient encore a l'endroit ou ils avaient peri, a moitie ensevelis sous
des moellons et des paves.--"C'etaient des sbires.--En etes-vous
sur?--Je crois bien: celui-la etait receveur pour les chaises a la
petite eglise de la piazza Marina."

Sur ladite place, vers les onze heures du soir, a l'instant ou les
cafes, encore pleins de monde, retentissaient de gaiete, on entend un
cri dechirant, un supreme appel a la pitie. Personne ne se derange. Un
gamin venait de crier: "C'est un sbire qu'on ecorche." Le lendemain, au
matin, un cadavre etait etendu au milieu de la place, la face contre
terre, perce de vingt coups de couteau. Quelques femmes, en passant, le
poussaient du pied, et toujours: "C'est un sbire!"

A la porta Maqueda, deux agents de l'ancienne police, que l'on savait
refugies dans une maison, y furent guettes avec une persistance digne de
tigres. Le premier qui sortit avait deux enfants et une femme dont il
ignorait le sort. L'inquietude, pour lui, etait pire que la mort. A
peine dehors, il est assailli, entraine sur le boulevard; on lui passe
une corde au cou, et, quelques instants apres, perce de coups de
couteau, le crane brise a coups de pierres, son cadavre etait jete dans
un fosse rempli d'ordures. L'autre se hasarda, vers minuit, a sortir,
croyant une evasion possible; il n'avait pas fait un pas qu'un coup de
coutelas le clouait contre la porte meme, et son cadavre allait
rejoindre le premier.

Chaque soir, il fallait enregistrer plusieurs meurtres semblables. Pas
un, cependant, ne fut accompli dans une maison ou dans un domicile
viole.

Une Francaise, madame D..., habitant Palerme depuis de longues annees,
avait recueilli, au moment du bombardement, un agent de Maniscalco dont
la vie etait menacee. Forcee de chercher un refuge sur le _Vauban_, elle
laissa ce malheureux dans sa maison en lui recommandant de ne pas
sortir, sa vie y etant en surete. Mais lui aussi etait pere, et, sans
nouvelles de sa femme et de ses enfants, il voulut se hasarder, la nuit
venue, a gagner son domicile pour embrasser sa famille.

A mi-chemin, il fut reconnu et massacre. A quelques jours de la, la
femme et les enfants vinrent a leur tour chercher asile chez madame
D..., alors debarquee du _Vauban_; Palerme etait au pouvoir de l'armee
liberale. Deux ou trois jours se passent tranquillement, mais, le
quatrieme, la malheureuse, allant chercher quelques provisions, est
reconnue et, sans un chasseur des Alpes qui degaina et prit bravement sa
defense, elle etait assassinee avec son enfant.

Madame D... etait encore sous l'impression de ce triste evenement,
lorsqu'elle rencontre, dans la rue de Tolede, le general Garibaldi
descendant a la Marine avec deux de ses aides de camp. Sans se
deconcerter, elle l'aborde et lui dit: "General, j'ai chez moi la
malheureuse femme et les deux enfants d'un sbire assassine il y a dix
jours, et, tout a l'heure, sans un des votres, cette malheureuse et ses
deux enfants eprouvaient le meme sort.

--"Madame, repondit le general, venez au palais dans une heure, je vous
ecouterai."

Effectivement, une heure apres, madame D..., accompagnee de la femme du
sbire et de ses deux enfants, arrivait au Palazzo dont la garde
nationale lui refusait impitoyablement l'entree, lorsque, heureusement,
un aide de camp survint et immediatement l'introduisit aupres du
Dictateur.

Pendant le recit de ces horribles details, le general Garibaldi tenait
les yeux fixes sur la pauvre femme dont le dernier enfant, age de onze
mois, etait enveloppe dans un chale qu'elle serrait sur sa poitrine.
Apres quelques instants, il se dirigea vers elle et, soulevant le chale
qui entourait la pauvre petite creature endormie sur le sein de sa mere:
"Pauvre femme! dit-il; mais, madame, soyez tranquille, je la prends sous
ma protection et je ferai en sorte de reparer, autant qu'il est en mon
pouvoir, de tristes evenements independants de ma volonte."

Elle resta au palais ou on lui donnait deux thari par jour pour pourvoir
a ses besoins et, plus tard, le general la fit entrer dans un couvent
avec ses deux enfants.

Plusieurs autres malheureuses, qui vinrent aussi se refugier au
Palazzo-Reale, furent traitees de la meme maniere.

Cependant la partie saine de la population finit par s'emouvoir de ces
actes barbares. Des decrets parurent, severes et fermes. Ce remede fut
inefficace. Il fallut une ordonnance aussi inexorable que les actes des
septembriseurs palermitains. A partir de ce jour, tout individu
convaincu d'avoir frappe d'une arme quelconque qui que ce fut, d'avoir
crie haro ou ameute la population contre quelqu'un, d'avoir arrete
illegalement quelque personne que ce fut, passait de suite devant un
conseil de guerre qui, seance tenante, prononcait le jugement,
executoire dans les dix minutes.

Le jour meme ou ce decret etait affiche, un assassinat avait lieu pres
du marche: le coupable, arrete, etait passe par les armes a trois heures
de l'apres-midi, sur la place de la Citadelle.

Le lendemain, deux autres exemples semblables avaient lieu sur la place
de la Marine.

Des lors, ces scenes de cannibales devinrent plus rares.

L'assassinat de la Bagheria vint encore cependant ensanglanter ces pages
de l'histoire de Palerme. Un corps de volontaires siciliens y avait ete
mis en cantonnement. Leur commandant, jeune homme d'une trentaine
d'annees qui depuis dix ans sacrifiait sa fortune au benefice de la
revolution projetee et qui, pendant longtemps, lors des evenements
revolutionnaires de Sicile, avait commande ses guerillas dans la
montagne, rentrait a son quartier, revenant de Palerme ou il avait dine
dans sa famille. Il est aborde par un de ses volontaires qui lui reclame
quelque argent. Le commandant lui repond qu'on ne lui doit rien et qu'on
ne lui donnera rien. Un instant apres, trois coups de feu l'etendaient
roide mort. Toute la population palermitaine s'emut vivement de ce
nouvel acte de ferocite; mais il fallut plusieurs jours pour trouver et
arreter le meurtrier qui fut fusille sur la piazza de la Bagheria.

On a parle aussi vaguement, a cette epoque, d'une tentative d'assassinat
sur la personne meme du Dictateur. Ce fait est certainement controuve.

Les volontaires continuaient a arriver en foule de toutes parts. Ce
n'etaient plus les aventuriers sans ressources de Marsala: c'etaient de
beaux soldats bien equipes, bien armes. Ils ressemblaient, a s'y
meprendre, a des regiments piemontais, dont ils portaient le costume,
legerement modifie. Beaucoup meme de leurs officiers se souciaient si
peu de laisser paraitre leur nationalite qu'ils conservaient l'uniforme,
et jusqu'au numero de leur regiment. Il est probable, ou du moins on
doit le supposer, que soldats et officiers avaient fini leur temps ou
etaient en disponibilite. Mais ce n'etait certainement pas pour
infirmites temporaires qu'ils etaient reformes, car les uns comme les
autres etaient generalement des gaillards solides. Il ne se passait
presque pas de jour sans que quelque convoi d'hommes et d'armes ne
debarquat dans le port. Aussi les rues de la ville et les promenades
regorgeaient-elles d'uniformes etranges et varies: une douzaine ou deux
de zouaves, quelques turcos, des chasseurs d'Afrique, des spahis, des
Anglais en assez grande quantite, puis des officiers de toutes les
nations de l'Europe. Il finit par y en avoir tant et tant qu'il fallut
songer a les utiliser et a les acheminer sur divers points de la Sicile.

Dans beaucoup de localites, bien des choses allaient un peu de travers.
On se permettait quelques escapades a l'egard des proprietaires. On ne
se privait meme pas, a l'occasion, de les tuer, de les bruler et de les
piller par-dessus le marche.

Comme il n'y avait plus de police, plus de soldats et presque plus de
municipalite, ces espiegleries se commettaient tranquillement et
paraissaient devoir rester impunies. Depuis le depart des Napolitains,
on avait organise quelques regiments; on les forma alors en brigades. Le
general Tuerr prit le commandement de la premiere division, qui devait
traverser la Sicile en passant par Girgenti, Caltanisetta, puis gagner
Catane. La seconde, commandee par le general Bixio, devait suivre aussi
la route de l'interieur, mais par la montagne. La troisieme, sous les
ordres du general Medici, devait prendre la route maritime de Palerme a
Messine.

Dans les derniers jours de juin, vers les quatre heures du soir, la
division du general Tuerr se formait en bataille sur la place du
Palazzo-Reale, ou le general Garibaldi la passait en revue, et, vers les
sept heures, elle se mettait en marche avec une section de pieces de
campagne, une d'obusiers de seize pouces et quelques caissons de
munitions; les caissons etaient representes par de simples charrettes
ornees de petits pavillons. Toute cette division avait neanmoins bonne
tournure. Un grand laisser-aller dominait, mais on trouvait enormement
de bonne volonte. On y remarquait surtout avec plaisir un superbe
bataillon de chasseurs a pied piemontais, un bataillon de Suisses ou
Bavarois, presque tous deserteurs de l'armee royale, et une belle
compagnie de tirailleurs indigenes. Toutes ces troupes avaient une tenue
assez reguliere en ce qui concernait, du moins, la casaque rouge et le
pantalon de toile. Le kepi piemontais figurait aussi generalement comme
coiffure. Mais, pour le fourniment, c'etait une autre affaire. Chacun
avait organise son havre-sac le mieux qu'il avait pu. La grande sacoche
en sautoir etait le plus generalement employee. On voyait des bidons de
toute espece, des cartouchieres de modeles varies, mais le tout arrange
de la maniere la plus commode.

Cette division traversa la ville de Palerme et prit la route de
Missilmeri, qui devait etre sa premiere etape. A son passage dans les
rues, il y eut un vrai moment d'enthousiasme. C'est que l'on comprenait
que c'etaient ces volontaires qui allaient decider en definitive du sort
de la Sicile. Ils marchaient au-devant des troupes royales, et devaient
relever sur leur route le drapeau de l'ordre renverse en plusieurs
endroits, et planter les couleurs italiennes sur les derniers points de
la Sicile occupes par les troupes napolitaines. Le general Tuerr, qui les
commandait, emportait avec lui toutes les sympathies de la population
palermitaine. Malheureusement la maladie devait bientot l'arracher, pour
quelque temps, a sa division. Plusieurs jours apres, a la meme heure, le
general Bixio partait aussi avec sa brigade.

Cette derniere etait beaucoup moins forte que celle du general Tuerr.
Elle comptait tout au plus quinze cents hommes, mais presque tous hommes
faits et soldats. Il y avait bien, par-ci par-la, quelques dizaines de
moines defroques, portant haut la tete et maniant certes mieux leur
fusil qu'ils n'avaient manie le goupillon; mais, en resume, cette
brigade paraissait plus homogene que la division du general Tuerr. Elle
n'avait pas d'artillerie, et possedait seulement quelques guides pour le
service d'etat-major du general. Sa mission etait de reprimer
vigoureusement les desordres qu'elle rencontrerait sur son itineraire et
de courir sus, sans misericorde, aux bandes de malfaiteurs qui se
montraient dans beaucoup d'endroits. Le troisieme corps, celui de
Medici, partait ensuite par la route maritime de Palerme a Messine et
devait se reunir, a un endroit donne, avec celui de Bixio.

On avait installe, a Palerme, une fonderie de canons qui fonctionnait
deja admirablement. Une partie des cloches non-seulement de Palerme,
mais encore de toutes les villes de la Sicile, avaient ete offertes par
les eglises et les couvents. Il y avait de quoi fondre plus de pieces
qu'il n'en aurait fallu a une armee de cent mille hommes, et cependant
il en restait encore une telle quantite que, les jours ou elles se
mettaient en branle et aux grandes fetes, c'etait un vacarme a ne pas
s'entendre.

On fut un jour bien etonne en rade. Une embarcation du port, toute
simple d'apparence, poussait du debarcadere et se dirigeait vers
l'escadre anglaise. Quelques officiers garibaldiens, en chemise de laine
rouge, etaient a bord de ce canot qui, bientot, accostait l'amiral
anglais.

Le Dictateur allait faire une visite non officielle, puisque son
gouvernement n'etait pas reconnu, mais de courtoisie, aux commandants
des stations etrangeres sur rade. Du vaisseau amiral anglais, il se
dirigea vers le _Donawerth_, puis vers le commandant piemontais qui le
salua de dix-sept coups de canon lorsqu'il regagna la terre. Ces visites
lui furent rendues avec empressement, mais toujours en ecartant le
caractere officiel. A cette epoque aussi, le _Franklin_, capitaine
Orrigoni, fut envoye en mission sur la cote Sud. Il devait toucher a
Trapani, Marsala, Girgenti, Alicata, Terranova, et pousser jusqu'au cap
Passaro. Il etait charge de rapporter les fonds offerts par les
provinces, de faire le sauvetage d'un transport napolitain charge de
boulets et de canons, echoue entre Alicata et Terranova. Il devait
aussi, a son retour, cooperer, s'il y avait lieu, au sauvetage du
_Lombardo_ a bord duquel une corvee de marins et d'officiers du genie
maritime avait ete envoyee prealablement de Palerme, et enfin y amener
les delegues de toutes les villes du littoral.

Il serait trop long d'enumerer tous les decrets et tous les changements
de fonctionnaires qui eurent lieu alors. On pataugeait un peu partout,
mais on cherchait cependant a faire pour le mieux. L'experience seule
manquait. On n'est pas parfait. Cette armee d'hommes determines manquait
d'organisateurs. C'est a grand'peine si le service medical avait pu etre
installe dans les differents corps. Celui de l'intendance etait tout a
fait incomplet. On procedait, autant que possible, par requisitions.
Elles etaient payees par le tresor municipal; celui de l'armee etait
trop pauvre. On pouvait tout au plus compter aux volontaires leur mise
en campagne: les officiers touchaient environ deux francs par jour,
juste de quoi manger; le reste de leurs appointements devait leur etre
paye en arrerages, lorsque l'etat de la caisse le permettrait. Quant au
service des hopitaux et des ambulances, c'etait encore, il faut
l'avouer, ce qui laissait le plus a desirer. La population palermitaine
y mettait peu du sien, et l'empressement etait minime pour recevoir les
blesses dans les maisons particulieres ou leur porter des secours, soit
en nature, soit en argent. Deja mal organises, les hopitaux eux-memes,
accables par ce surcroit de malades ou de blesses, n'offraient presque
aucune ressource aux malheureux qui venaient y chercher des soins et des
pansements.

On ne se serait jamais imagine, certes, a voir l'egoisme de la
population et sa froideur, qu'il s'agissait de leurs sauveurs ou, tout
au moins, de leurs liberateurs. Pas un inspecteur, pas un chef de
service ne surveillait les hospices ni les blesses a domicile. Ce qui
est pire encore, ils etaient le plus generalement oublies dans la
repartition de la paye. Quelques-uns manquaient de tout et la plus
grande partie etaient obliges de se contenter de bien peu; heureux
encore lorsque le linge ne venait pas faire defaut aux blesses.

La garde nationale avait ete organisee des l'entree de Garibaldi dans
Palerme; mais elle etait generalement assez mal vue par lui. Il
n'appreciait pas au juste la valeur des services qu'elle pouvait etre
appelee a rendre dans un moment donne. Le Dictateur disait qu'il lui
fallait des soldats et non des avocats. Cependant elle finit par prendre
un peu d'importance, car il faut convenir qu'elle montra une grande
fermete en plusieurs circonstances difficiles.

Une affreuse cohue se dirigeait un soir vers la porte du Palazzo-Reale
en traversant la place. Des cris de mort et des hurlements de vengeance
sortaient de cette foule armee de toutes sortes de choses et eclairee
par des torches au reflet rougeatre et sanglant. Un malheureux, deja
blesse a la tete, etait traine, la corde au cou, par un horrible
Quasimodo, espece de bete feroce, bossue, tortue et bancale.

Les miserables qui entouraient la victime brandissaient a chaque instant
sur sa tete des coutelas de toute nature. On entendait, dans cette
foule, des sifflements inexplicables, semblables au bruit que ferait une
forte fusee en s'elancant dans les airs.

En voyant ce rassemblement a l'aspect sauvage, le poste de la garde
nationale prit les armes et, a l'instant ou, arrives vis-a-vis le
Palais-Royal, ces massacreurs allaient sans doute immoler leur victime,
le chef du poste se jeta resolument, le sabre a la main, sur ceux qui
serraient de plus pres le pauvre diable; ses soldats en firent autant
pour les autres, jouant un peu de la baionnette par-ci par-la. Eu
quelques moments la place etait libre; les torches, abandonnees par
leurs porteurs, gisaient a terre et les fuyards disparaissaient en toute
hate dans les rues voisines. Bien entendu, la victime etait restee aux
mains de la garde nationale sans autre mal qu'un coup de baionnette dans
la joue et un coup de couteau dans l'epaule. C'etait, du reste, un assez
triste personnage, pis qu'un sbire; c'etait un traitre qui avait vendu
ses camarades lors de l'affaire du couvent de la Ganzza. Malgre cela,
Garibaldi, le lendemain, lui faisait donner un sauf-conduit et le
faisait embarquer sur un batiment en partance pour Naples.

Plusieurs histoires de ce genre finirent par faire prendre la garde
nationale plus serieusement par le nouveau gouvernement. Il y avait
aussi quelquefois des manifestations.

La manifestation est une chose assez inconnue dans notre pays. C'est une
coutume tout italienne. On vous dit le matin: il y aura ce soir
manifestation pour tel motif ou contre tel autre. A l'heure dite, vous
voyez une longue procession de promeneurs a pied, en voiture, a cheval,
qui viennent defiler sous les fenetres de l'autorite, ou meme tout
simplement se poser devant elles avec calme, y sejourner quelques
instants, puis se retirer comme elle est venue. Quelques vivat s'en
melent; mais c'est une exception. On fait une manifestation en faveur
d'un ministre ou contre un autre. On fait une manifestation pour feter
l'arrivee d'un general ou d'un etranger de distinction. Dans ce cas, les
plus huppes des deux sexes, parmi les acteurs, montent dans le salon du
noble general ou etranger, lui adressent leurs compliments de bienvenue.
Alexandre Dumas, qui etait loge au Palazzo-Reale, ne put l'echapper, et
fut le heros d'une ceremonie de ce genre. Une foule enthousiaste vint,
une apres-midi, encombrer brusquement la place vis-a-vis ses fenetres,
et s'egosiller aux cris de _Viva Dumas! viva l'Italia! viva Dumas! viva
la liberta! viva Garibaldi! viva Dumas!_ etc.--"Qu'est-ce que Dumas?
disait l'un a son voisin.--Je ne sais pas, disait l'autre.--C'est le
frere du roi de Naples, ou bien encore c'est un prince circassien
accable de richesses qui vient mettre a la disposition de la liberte
sicilienne ses sujets et son vaisseau." Il va sans dire que la plus
grande partie connaissait parfaitement notre illustre romancier; mais,
dans la classe vulgaire qui, generalement, ne sait pas lire, en Sicile,
il n'est pas etonnant que la majorite ne connut pas, meme de nom,
l'auteur des _Mousquetaires_ et des _Memoires de Garibaldi_. En somme,
Dumas se preta galamment a l'ennui de la reception qui suivit la
manifestation. Il trouva de ces paroles qui ne lui font jamais defaut,
et renvoya tout le monde content, meme les musiciens qui terminerent la
ceremonie par une serenade, et auxquels il dut, a en juger d'apres leurs
figures epanouies, distribuer quelques-uns des tresors de
_Monte-Cristo_. Deux ou trois jours apres, Dumas quittait Palerme, et
faisait route, avec la brigade de Tuerr, pour Caltanisetta et Girgenti ou
son yacht devait le reprendre. Ce fut un depart tout militaire. Il y
avait la Legray, le photographe, Lockroy, le dessinateur, etc., enfin,
une quatorzaine de troupiers finis, plus ou moins moustachus, plus ou
moins barbus, le sac au dos, le fusil a deux coups sur l'epaule, et
chacun avec un ratelier varie a sa ceinture.

Il etait trois heures du matin lorsque cette petite troupe se mit en
marche, les voitures et les bagages au centre, trois superbes pointers
anglais en eclaireurs, et le pilote du yacht a l'arriere-garde. Mais
revenons a Palerme.

Pendant que tous ces evenements se passaient, la ville avait repris son
animation d'autrefois. Le commerce, qui jamais n'y a brille beaucoup,
avait un certain essor, grace aux volontaires. On se croyait enfin pour
toujours debarrasse des Napolitains. Cependant, une vague inquietude,
causee par les nouvelles de l'interieur, courait dans les classes
elevees. Il ne fallut rien moins que le depart des colonnes mobiles pour
calmer un peu certaines craintes, peut-etre exagerees, mais certainement
motivees par les evenements de Modica, Caltanisetta, etc.

Malgre toutes ses preoccupations militaires et les ennuis que lui
causaient ses embarras ministeriels, le Dictateur n'en trouvait pas
moins encore le temps de reunir ses municipalites pour essayer, sinon
une reorganisation complete, du moins un attermoiement qui permit
d'attendre, avec une certaine tranquillite, une epoque plus calme. Le
general Orsini, ministre de la guerre, faisait de son cote tout son
possible pour organiser et mettre en etat quelques batteries d'obusiers
de montagne et de pieces de campagne dont l'armee liberatrice avait le
plus grand besoin. On formait aussi deux regiments de cavalerie, et les
remontes avaient fini par produire un assez bon resultat pour esperer
que l'on pourrait meme depasser ce chiffre.

Un assez grand nombre de recrues et de nouveaux volontaires arrivant
chaque jour, le general Garibaldi ordonna une revue pour le 2 juillet,
au pied du mont Pellegrini, sur le Champ-de-Mars.

A cet effet, des trois heures du matin, toutes les troupes se mirent en
marche et se trouverent bientot reunies sur le terrain de manoeuvres. Il
est impossible de donner une juste idee de ce spectacle. L'emplacement,
par lui-meme, est quelque chose de magnifique. D'un cote la mer, de
l'autre le mont Pellegrini, avec ses formes majestueuses et ses rochers
aux tons violets, que le soleil levant colorait des teintes les plus
vives et les plus harmonieuses; du cote de la campagne, la promenade de
la Favorita et la fertile vallee de la Conca-d'Oro. Les curieux etaient
en petit nombre. On ne se leve pas d'aussi bonne heure a Palerme, et le
general Garibaldi, peu desireux d'une nombreuse assistance, avait songe,
avant tout, a la sante des soldats en ne les exposant pas aux
intolerables chaleurs du milieu de la journee. Parmi les troupes qui
defilerent devant le general on remarquait surtout, a leur belle tenue,
les corps toscan et lombard; la legion anglo-sicilienne y etait
representee par son bataillon de depot. Quant aux recrues, elles
n'etaient pas brillantes: il y avait beaucoup d'enfants, un grand nombre
meme n'etaient pas armees. Telle qu'elle etait, cette armee comptait
encore douze a treize mille hommes. Le defile eut lieu aux cris de _Viva
la liberta! Viva Garibaldi! Viva Vittorio-Emmanuele!_ Il est a remarquer
que ce dernier nom ne venait jamais qu'apres celui de Garibaldi.

Le lendemain de cette revue, le general Tuerr revenait a Palerme, force,
par la maladie, d'abandonner le commandement de sa division. Il dut
s'embarquer immediatement pour Genes et aller prendre les eaux que
l'etat de sa blessure reclamait.

Un nouveau decret du Dictateur venait aussi, a cette epoque, confisquer
au profit de l'Etat les biens d'une foule de congregations religieuses
plutot nuisibles qu'utiles, et dont l'existence devenait un non-sens
avec le nouvel etat de choses. C'etaient, entre autres, les Jesuites et
les congregations du Saint-Redempteur. La municipalite vint aussi offrir
a Garibaldi, en meme temps que ses remerciements, le titre de citoyen de
Palerme. Le conseil municipal, dans cette occasion, ne dissimula pas au
Dictateur que la population attendait avec une vive impatience le vote
de l'annexion; que cette mesure seule ramenerait le calme et la securite
dans le commerce et l'industrie, en meme temps qu'elle permettrait de
reprimer vigoureusement les exces qui, dans certains districts,
ensanglantaient la revolution sicilienne. Le general se montra
tres-reconnaissant du droit de cite qu'on lui octroyait, mais, quant a
l'annexion, sa reponse, quoique longue, pouvait se resumer en quelques
lignes:

"Je suis venu combattre pour l'Italie et non pas pour la Sicile seule,
et, tant que l'Italie entiere ne sera pas reunie et libre, rien ne sera
fait pour une seule de ses parties." Ce qui n'empecha pas les
mecontents de demander l'annexion plus fort que jamais, et de voir
afficher dans quelques rues, sur les portes et fenetres, de vastes
pancartes blanches, portant:--"Votons pour l'annexion et
Vittorio-Emmanuele!"

La demande du conseil municipal exprimait-elle sincerement le voeu de la
nation? C'est ce que l'avenir prouvera.

A propos de placards, il en parut un jour un et des plus bizarres. Un
monsieur, un avocat, appelait le peuple de Palerme aux armes et a la
liberte en invoquant ... l'exemple des Vepres siciliennes. Le moment
etait en effet bien choisi pour rappeler un pareil souvenir; c'etait une
grande preuve de tact et de bon gout! "Montrons-nous, disait-il, les
dignes fils des heros qui delivrerent jadis leur patrie!" Je ne sais si
les Palermitains avaient conserve un culte tres profond pour ces heros
d'un autre age, mais la proclamation ne fit lever que les epaules chez
tous ceux qui la lurent.

On avait espere a Naples que la promesse d'une constitution et
l'adoption des couleurs italiennes par Francois II feraient sensation a
Palerme et dans la Sicile, et rameneraient quelques esprits au
gouvernement royal. Mais le fort Saint-Elme, a Naples, et les batiments
de guerre napolitains, saluerent seuls ces modifications a une politique
a jamais repoussee par l'opinion publique. Quant a Palerme et a la
Sicile, la nouvelle y passa tout a fait inapercue; ce ne fut pas
cependant la faute du general qui la fit afficher partout; elle recut
le meme accueil que la proclamation de l'habile panegyriste des Vepres
siciliennes.

Le moment approchait ou l'armee liberatrice allait sortir de
l'immobilite et reprendre l'offensive. Il etait fortement question de
l'attaque de Messine sur laquelle convergeaient les colonnes
independantes. Quatre forts transports a vapeur avaient ete achetes par
le general Garibaldi et on se disposait a les armer aussi bien que
possible. Ils formaient, avec ceux que l'on possedait deja, une petite
escadre pouvant transporter plusieurs milliers d'hommes a la fois. Trois
nouveaux batiments vinrent encore bientot l'augmenter. Un matin, la
population des quais fut stupefaite de voir apparaitre l'une des plus
jolies corvettes de la marine napolitaine, son pavillon a la corne, mais
le guidon parlementaire au mat de misaine. Elle approchait toujours,
traversait la rade, et venait mouiller jusque dans le port. Quelques
instants apres, son pavillon etait amene et remplace par les couleurs
italiennes. Le general Garibaldi se rendit a bord, et recut le batiment
qui lui fut remis par le commandant et la presque totalite des
officiers. Quant aux matelots, ils furent debarques, et la plupart s'en
retournerent a Naples. Un nouvel equipage fut forme immediatement, un
commandant nomme, et le _Veloce_ repartait de suite en croisiere, pour
revenir, vingt-quatre heures apres, avec deux prises napolitaines,
l'_Elba_ et le _Duc de Calabre_. C'etait donc un vrai batiment de
guerre ajoute au materiel naval dont pouvait des lors disposer le
general Garibaldi.

Trois jours apres, l'on apprenait l'arrivee de la colonne Medici a
Barcelona et la marche en avant du general napolitain Bosco.

C'est a Messine qu'il faut maintenant se transporter au plus vite, cette
ville va devenir le theatre de nombreux et interessants evenements.




IV


Messine, a peine remise du bombardement de 1848, devait ressentir le
contre-coup immediat des evenements de Palerme. Plusieurs fois ravagee
par la peste et les tremblements de terre, celui de 1783, entre autres,
qui fit perir plus de quarante mille personnes, elle est construite en
amphitheatre sur le bord de la mer et a peu pres au milieu du detroit
qui porte son nom. Cette ville est partagee, dans le sens de sa
longueur, par deux grandes voies paralleles au quai du port, la strada
Ferdinanda et le Corso. Une quantite d'autres rues coupent ces deux
premieres a angle droit et viennent aboutir sur le quai. Des qu'on a
traverse le Corso, le sol s'eleve rapidement et les rues deviennent
presque impraticables aux voitures. C'est la que sont les quartiers des
couvents.

Le port, qui est vaste et parfaitement a l'abri, est defendu par une
imposante citadelle, pentagone regulier dont chacun des bastions est
retranche et ferme a la gorge par une tour maximilienne. Les deux qui
sont sur le front de la place en regard du champ de manoeuvres de
Terranova sont carrees et munies de canons de gros calibre. Plusieurs
ouvrages y ont ete ajoutes a diverses epoques: entre autres une batterie
rasante casematee de vingt-deux pieces, construite en face de la ville
sur l'emplacement de l'ancien chemin couvert, et un autre ouvrage
allonge en forme de jetee, defendu a son extremite par une forte
batterie qui commande la mer et le detroit.

Au dela de la citadelle, une etroite langue de terre, haute tout au plus
de deux ou trois metres au-dessus du niveau de la mer, et appelee bras
de Saint-Renier, se dirige vers l'entree du port. A son extremite se
trouve un second fort qui porte le nom de San-Salvador. Trois autres
occupent les points culminants des collines qui avoisinent la ville. On
concoit des lors comment les habitants ne pouvaient mettre le nez a leur
fenetre sans apercevoir quelques canons braques dans leur direction.

Les quais sont magnifiques et bordes de belles constructions
malheureusement inachevees ou en ruines. Au beau milieu un affreux
Neptune a jambes torses, tenant en laisse deux monstres encore plus
laids et plus difformes que lui qu'on decore des noms de Charybde et de
Scylla, se pavane sur un socle bizarre; c'est une oeuvre florentine, on
la prendrait plus volontiers pour celle de quelque sauvage sculpteur de
la Nouvelle-Caledonie. Il y a un beau jardin public appele la Flora, ou
l'on fait de la musique. Des eglises a chaque pas et autant de couvents
que de maisons. Les jours de fete religieuse et meme a certaines heures
du soir, celle de l'_angelus_, par exemple, c'est un vacarme de cloches,
de petards et de coups de fusil a etourdir Vulcain et ses Cyclopes.
Quant aux rues, elles sont dallees et assez propres au premier abord,
mais elles ne supportent guere un examen attentif. La cathedrale possede
un baldaquin en pierre dure de la plus grande richesse et d'une exquise
elegance. Ce monument fut commence par le duc Roger et termine plus
tard. La facade, de style ogival, est en marbre et ornee de mosaiques et
de bas-reliefs. Elle est malheureusement a moitie detruite.

Une charmante petite fontaine se laisse encore admirer sur la place,
mais dans quel etat est-elle! C'est a peine si l'on peut en approcher,
tant les immondices et le fumier encombrent ses abords. Les marbres
disjoints menacent ruine, et les bas-reliefs, ainsi que les gracieuses
statuettes de femmes assises qui supportent la vasque superieure, sont
ornes d'une telle croute de crasse, de boue et de sable, qu'on a peine a
en distinguer les contours et la forme.

Elle fut edifiee en 1547 par Fra Giovanni d'Angelo. La place est assez
belle, du reste, et ornee de deux statues: l'une en bronze, representant
Charles II a cheval, et l'autre le bon roi Ferdinand. Le Corso et la
strada Ferdinanda sont les promenades favorites des habitants. Il y a
des quantites de palais, mais ils sentent la misere a dix lieues a la
ronde. A part quelques exceptions, lorsque l'oeil vient a plonger dans
ces somptueuses habitations, on reste epouvante de ce qu'on apercoit a
l'interieur. Une haute chaine de montagnes, appelee monts Pelore,
entoure la ville et va aboutir au Faro.

Depuis le debarquement de Garibaldi a Marsala, les habitants de Messine,
quoique non moins exaltes que ceux de Palerme, paraissaient frappes de
stupeur. Plus les troupes royales arrivaient en ville, venant de
Palerme, Trapani, Girgenti, etc., enfin de partout excepte de Syracuse,
et plus on s'empressait de fermer les magasins, d'emballer les
marchandises et de les cacher partout ou faire se pouvait. On se
rememorait avec crainte les horreurs du premier bombardement et on en
prevoyait un second pire encore et presque inevitable.

La citadelle et les forts entassaient effectivement canons sur canons,
percaient meurtrieres sur meurtrieres, blindaient leurs embrasures et
couvraient leurs parapets de sacs a terre.

Pres de trente mille hommes defendaient ces ouvrages et formaient autour
de Messine, sur tous les points dominants des monts Pelore, une suite de
postes d'observation dont le telegraphe et le monte Barracone etaient le
centre et la base de defense.

Toujours en alerte, toujours sur pied et toujours en tenue de campagne,
ces troupes paraissaient decidees et devouees. Le general Clary, qui
commandait en chef, avait l'ordre formel de n'abandonner aucun des
points utiles a la defense. On devait donc croire que les colonnes
liberales rencontreraient une resistance desesperee. Or les habitants de
Messine, en prevision de ces evenements, avaient quelques raisons de
s'alarmer. Si les soldats royaux paraissaient vouloir defendre leur
drapeau un peu mieux qu'a Palerme, on pouvait etre certain que la plus
grande partie se hateraient aussi de profiter des moments favorables
pour renouveler les scenes de massacre et de pillage qui avaient desole
Palerme et autres lieux. Aussi, tous les magasins restaient-ils, depuis
pres d'un mois, impitoyablement fermes; les rues presque desertes de
jour, etaient, la nuit, entierement abandonnees. On n'y rencontrait que
de longues files de factionnaires tirant a tort et a travers a la
moindre alerte, sans beaucoup de souci de l'endroit ou leurs balles
allaient se loger, ni du mal qu'elles pouvaient faire a des innocents.

A l'approche des colonnes de Garibaldi, la desertion, qui commenca
parmi les troupes royales, amena un relachement marque dans la
discipline et, par suite, augmenta les craintes: dans la nuit du 23 au
24 juin, quelques coups de feu, tires par des sentinelles timorees,
donnent l'alarme aux postes de la ville. Plusieurs se mettent en
retraite sur la citadelle et, sans autre forme de proces, commencent a
piller les maisons. Deux habitations furent completement saccagees;
heureusement les proprietaires, comme la plupart des habitants, etaient
absents. Ceux qui le pouvaient passaient la nuit a la campagne ou ils se
croyaient plus en surete que dans la ville. Les consuls, entre autres
celui de France, M. Boulard, firent d'energiques remontrances au general
commandant en chef qui repondit qu'il etait peine de ces actes
inqualifiables d'indiscipline et de ladronerie, mais que malheureusement
les moyens de repression lui manquaient: il promit cependant de faire
une enquete; on savait ce que cela voulait dire.

A partir de ce jour, la panique devint generale. Les familles riches
affreterent, a quelque prix que ce fut, des batiments etrangers a bord
desquels elles embarquerent, en toute hate, meubles et argenterie.
Certains commercants payaient jusqu'a quinze livres par jour rien que le
droit de rester a bord des batiments sur rade, sans prejudice des autres
depenses; tandis que d'autres, moins riches, ne pouvant retenir des
batiments de commerce, louaient des bateaux de peche et des chalands.
Les plus pauvres, emportant leurs enfants dans leurs bras et leurs
matelas sur le dos, se dirigerent vers les plages du Paradis, de la
Grotta et du Faro qui offrirent ainsi bientot l'aspect d'une ville
improvisee.

Les consuls qui avaient des batiments de leur nation sur rade,
s'empresserent aussi d'y transporter les archives de leurs
chancelleries. Les autres les evacuerent sur leur maison de campagne. Le
service des messageries imperiales lui-meme fut oblige de chercher un
refuge sur une mahonne installee _ad hoc_. Quant aux administrations, il
n'y en avait autant dire plus. Chacun s'empressait de mettre la clef
sous la porte et de decamper sans tambour ni trompette. Le service des
postes, seul, tint bon ou a peu pres. Chose etrange, il apportait a
Messine les edits de Garibaldi que l'on affichait tranquillement, et
reciproquement, il remportait a Palerme les decrets et journaux
napolitains. Quant aux tribunaux, a la municipalite, etc., un decret du
general Garibaldi, publiquement affiche dans les rues de la ville, leur
avait enjoint de se rendre a Barcelona, et tout le monde s'etait
empresse d'obeir, excepte le directeur de la Banque qui avait pretexte
la necessite de sa presence a Messine pour eluder l'ordre du Dictateur.

Les eglises elles-memes restaient en partie fermees; c'est a peine enfin
si l'on pouvait se procurer les objets les plus necessaires a la vie. Le
commerce maritime, de son cote, devenu completement nul, faisait, des
quais une vaste solitude que rien ne venait troubler, sauf les cris des
factionnaires et le bruit des marches et contre-marches des soldats,
dans lesquels on commencait a avoir si peu de confiance qu'on ne les
laissait plus sejourner quarante-huit heures dans le meme endroit.

Le 14 juillet, plusieurs bateaux calabrais, ayant a bord des
volontaires, debarquaient a un mille et demi de la ville, sur la route
de Taormini, et les hommes se repandaient isolement dans la campagne.

Les troupes royales, en observation dans les environs, ne les virent pas
ou ne voulurent pas les voir.

Ces volontaires devaient, aussitot la retraite de l'armee napolitaine
sur Messine, se precipiter dans la ville, en barricader les rues et
empecher ainsi la rentree des troupes royales.

La cite ressemblait a un tombeau. Presque toutes les troupes furent a ce
moment dirigees vers la montagne. Des bandes de _picchiotti_ avaient
apparu sur les sommets du mont Castellamare et dans les ravins
environnants; ils echangeaient meme, de temps en temps, des coups de feu
avec les avant-postes royaux, qu'ils commencaient a inquieter chaque
jour.

Le general Medici, arrive depuis plusieurs jours a Barcelona avec sa
colonne, publia le 6 juillet une proclamation adressee aux soldats
napolitains et dans laquelle il leur representait leur cause comme
perdue et les appelait a la liberte. Il avait avec lui quelque chose
comme trois mille hommes. Les troupes royales occupaient Spadafora et le
Jesso, separees par trois ou quatre milles a peine de la brigade de
Fabrizzi. On annonca, le 15, le debarquement, du general Cosenz a
Olivieri, petite ville situee a dix-huit milles de Milazzo et pres de
Poti. Il avait avec lui, disait-on, huit bateaux a vapeur, dont le
_Veloce_, le tout amenant deux ou trois mille hommes. Le soir meme, il
faisait sa jonction avec le general Medici.

Le chiffre de l'armee nationale, prete a commencer les operations,
s'elevait donc a environ six mille soldats, sans compter les guerillas.
On apprenait, en meme temps, l'arrivee a Catane de l'ancienne division
du general Tuerr, commandee alors par le general hongrois Ehber. La
colonne de Bixio, arrivee de son cote a San-Placido, ne comptait pas
plus de cinq ou six cents hommes.

Pendant ce temps, le corps du general Bosco etait parti de Messine le
14, vers trois heures du matin, et s'avancait sur Spadafora en trois
colonnes, la premiere longeant la mer pour donner la main a la garnison
de Milazzo, la deuxieme suivant la route consulaire, et la troisieme se
dirigeant sur les derniers contre-forts de la montagne. Cette petite
armee comptait quatre bataillons de chasseurs a pied, plusieurs
escadrons de chasseurs a cheval et de lanciers, et deux batteries
d'artillerie.

Les avant-postes de l'armee liberatrice se replierent devant les troupes
royales, prenant position a Linieri et Meri, bourgades a trois milles
environ en avant de Barcelona.

Pendant que le general Medici executait ce mouvement de feinte
retraite, le general Fabrizzi prenait la traverse de Saponara, de
maniere a gagner, par les Fiumares, les hauteurs d'Antellamare, et de
couper de sa base d'operations la colonne expeditionnaire du general
Bosco. Le depart precipite des troupes royales pour la montagne donnait
beaucoup de chances a ce mouvement. Chaque pas en avant de l'armee
liberale venait augmenter l'apprehension des habitants de Messine.
Cependant, il etait evident que tant que les batiments de guerre
etrangers seraient dans le port, entre la ville et la citadelle, et
qu'on ne les aurait pas sommes de se retirer ainsi que les batiments de
commerce, le bombardement ne pourrait avoir lieu.

Les navires de guerre sur rade etaient alors la fregate a vapeur le
_Descartes_, le _Scylla_, corvette anglaise a helice, une corvette
autrichienne, enfin, une fregate piemontaise a helice. Ces quatre
navires avaient choisi leur mouillage de telle facon qu'ils
interceptaient tout le champ de tir entre la citadelle et la ville. Lors
d'un ras de maree, qui eut lieu vers le 10 ou le 11, les corvettes
autrichienne et anglaise crurent devoir quitter le port et aller
mouiller en rade. Mais, des le lendemain, a la suite d'une espece
d'invitation officieuse aux autres batiments de guerre de suivre
l'exemple des deux premiers, la corvette anglaise rentrait dans le port,
et reprenait son ancienne place, entre le _Descartes_ et la fregate
piemontaise qui etait la plus rapprochee de terre.

Il y avait sans cesse, parmi les troupes royales, des alertes du dernier
plaisant. Une nuit, sur le monte Barracone, les troupes qui y campaient
prirent les armes, et, pendant plus de deux heures, firent, dans toutes
les directions, des feux feroces; feux de bataillon, feux de peloton,
rien n'y manqua, qu'un ennemi. On croyait, en ville, a une affaire des
plus serieuses.

Une autre nuit, deux bateaux caboteurs autrichiens, charges de vivres
pour la citadelle meme, ne purent etaler le courant dans le detroit et
se trouverent drosses sur la plage entre la citadelle et le fort de la
Pointe. Un chemin couvert, longeant cette plage, reliait les deux
forteresses et chaque nuit deux ou trois bataillons y restaient de
service en prevision d'un debarquement de Garibaldiens.

En voyant ces deux bateaux s'approcher du rivage et bientot apres
s'echouer, les guerriers de Francois II commencent une fusillade d'enfer
sur ces malheureuses barques. En vain les matelots leur crient qu'ils
sont des amis; en vain leurs propres officiers leur hurlent aux
oreilles: _Basso et fuoco!_ quand ils obtiennent a grand'peine que le
feu cesse d'un cote, il recommence d'un autre avec plus d'acharnement,
et cependant on ne leur rendait pas un seul coup de fusil. Le feu dura
plus de deux heures, les balles arrivaient jusqu'a bord des batiments de
guerre en rade, c'est-a-dire dans une direction diametralement opposee a
celle ou se trouvaient les navires suspects. Enfin, le calme se
retablit.

Le lendemain matin, ces deux malheureux bateaux, remorques par des
embarcations qu'on leur avait envoyees, rentraient dans le port, cribles
de balles, leur greement hache, leurs voiles en lambeaux et, ce qui rend
cette plaisanterie fort triste, la moitie de leurs equipages tues ou
blesses, malgre la precaution qu'ils avaient prise de descendre a fond
de cale.

Le 17, au soir, une partie de la colonne de gauche du general Bosco
marchait en _dependant_ sur sa gauche, lorsque ses vedettes
rencontrerent celles de Medici, et engagerent un feu tres-vif. Chaque
parti faisant soutenir ses avant-gardes, il s'ensuivit un combat en
regle. L'affaire continua assez tard dans la nuit. Les troupes de Bosco
se retirerent vers Milazzo, emmenant quelques prisonniers, dont un
capitaine, et laissant sur le terrain pas mal de morts et de blesses. De
leur cote, les Garibaldiens avaient fait aussi un assez grand nombre de
prisonniers, et ils avaient moins de monde hors de combat. C'est a ce
moment meme que Garibaldi, quittant brusquement Palerme le 18,
s'embarquait sur le _City of Alberdeen_ avec un millier d'hommes et
mettait le cap sur Milazzo. Le brave chef de l'armee independante avait
flaire la poudre et il venait tomber sur le champ de bataille juste a
point pour enlever ses volontaires et ajouter la victoire de Milazzo a
celles de Calatafimi et de Palerme.

Lors de l'affaire du 17, les troupes napolitaines avaient un grand
avantage sur celles de Medici, en ce qu'elles avaient du canon et
tiraient a boulets creux sur un ennemi a decouvert et sans artillerie.
On racontait de differentes manieres le commencement de cette petite
action. En rapportant toutes les versions, on est certain de rencontrer
la veritable.

On disait d'abord qu'un petit convoi, appartenant au corps de Bosco et
compose d'une cinquantaine de mulets charges de farine, avait ete
attaque et enleve dans l'apres-midi par quelques avant-postes siciliens.
Un detachement napolitain fut envoye pour le reprendre. De la, bataille.

Suivant d'autres, le general Bosco avait confie a un major un poste
important que celui-ci abandonna presque immediatement. Arrete par ordre
de son general, il fut enferme dans le chateau de Milazzo. En vrais
soldats napolitains, les royaux commencerent a s'ameuter et a crier haro
sur le general Bosco, exigeant la mise en liberte immediate de leur
major. Mais ce n'etait pas le compte du general qui, peu facile a
intimider, commenca par ramasser quelques troupes d'elite et apaisa
rapidement cette mutinerie; puis, prenant en personne le commandement de
deux bataillons, s'en alla bravement reprendre le poste abandonne
qu'occupaient deja quelques hommes de Medici. Ne voyant pas motif
serieux pour le garder quand meme, il se retira, de sa propre volonte,
ou, suivant la version opposee, il fut force de l'abandonner. Ce qu'il y
a de certain, c'est que, dans cette affaire, les Napolitains eurent
quinze hommes tues et cinquante blesses. On leur fit une soixantaine de
prisonniers. Les pertes des Siciliens ne furent que de dix hommes tues,
trente-cinq blesses et vingt-sept prisonniers.

Ces recits varies s'appliquent-ils a une seule affaire ou a plusieurs?
Les deux bulletins de Medici, ci-joints, feraient pencher pour la
seconde hypothese.

    "Barcelona, 17 juillet, sept heures quinze minutes du soir.

    "L'ennemi a tente de tourner mon extreme droite. J'ai envoye
    contre lui quatre compagnies. Combat tres-vif. L'ennemi, fort de
    deux mille hommes, avec artillerie et cavalerie, a ete repousse
    et s'est retire a Milazzo. Notre perte est de sept morts et
    divers blesses, celle de l'ennemi est beaucoup plus forte; il a
    laisse aussi quelques chevaux.

        "_Signe_: MEDICI."


    "Deuxieme bulletin.--17 juillet, deux heures avant minuit.

        "Medici au Dictateur.

    "L'ennemi renouvelle l'attaque avec une plus grande energie et
    de plus grandes forces. Le combat dure depuis plus de deux
    heures avec un feu nourri, continu, vif, imposant. L'ennemi a
    bombes et canons. Avec des positions bien choisies, il resiste
    energiquement. Deux charges des notres a la baionnette decident
    de la journee.

    "L'ennemi se retire a Milazzo; il a souffert de graves pertes en
    morts et en blesses. Nous avons peu de morts, mais bon nombre de
    blesses. Nous avons fait quelques prisonniers. L'esprit des
    volontaires est admirable.

        "_Signe_: MEDICI."

Avant d'en venir au combat de Milazzo, il est necessaire de donner
quelques details topographiques sur le champ de bataille.

La ville de Milazzo est situee a l'entree d'une presqu'ile etroite et
plate. A toucher la ville une courte chaine de collines, sur le premier
mamelon de laquelle se trouve le chateau de Milazzo, s'eleve et s'etend
jusqu'au bout de la presqu'ile sur un developpement d'environ deux
kilometres. Tout a fait a l'entree de la presqu'ile, avant la cite, a
travers un terrain sablonneux et couvert de roseaux, se faufile une
petite riviere sur laquelle est jete un pont d'une seule arche. Tous les
alentours sont obstrues par des roseaux a tiges elevees; au dela,
quelques terrains sablonneux, traverses par la route consulaire qui
vient aboutir a l'entree du pont, s'etendent jusqu'aux terres cultivees
qui montent en pentes insensibles vers Barcelona. Le pays est couvert de
vignobles et les champs sont presque tous entoures de murs de pise et de
terre d'une hauteur moyenne d'un metre ou un metre cinquante, sur
lesquels croissent d'epais cactus aux epines acerees. Apres les
engagements du 17 et du 19, les troupes royales occupaient la route
consulaire et les positions environnantes, l'artillerie avait pris
position sur la route, et, en tete du pont, une fortification
passagere, armee de canons, assurait la retraite en cas de besoin.

Les troupes de Medici, dans la plaine en avant de Barcelona, etaient
separees des troupes royales par deux milles environ; mais les
tirailleurs etaient a peine a quelques centaines de metres les uns des
autres.

Le 20, vers cinq heures du matin, on entendit sur la droite des
Garibaldiens, a la hauteur des avant-postes du centre napolitain,
quelques coups de feu dont la fumee se confondait avec les legeres
vapeurs qui s'exhalaient de la terre. Cette fusillade s'etendit bientot
sur le front d'une partie de l'armee. A cinq heures et demie, la
mousqueterie, devenue tres-vive, annoncait de part et d'autre un
engagement serieux.

Le feu devint bientot general. Une affaire decisive etait engagee a un
mille et demi de Milazzo et sur une etendue de deux milles environ.

La legion anglo-sicilienne, commandee par le colonel anglais Dunn, fut
une des premieres et des plus serieusement aux prises avec l'ennemi.

L'armee nationale, privee d'artillerie et obligee de lutter contre des
troupes qui avaient choisi d'avance leurs positions, se tenant a couvert
et trouvant partout des abris pour ses tirailleurs, avait, dans le
principe, un desavantage marque. Ce n'etait que par des prodiges de
valeur qu'elle pouvait esperer egaliser les chances du combat. A la
suite d'un mouvement en avant tres-prononce qu'elle executa rapidement
et avec audace, il y eut un temps d'arret cause par plusieurs decharges
successives de mitraille. Le desordre, se mettant alors de la partie,
obligea les liberaux a battre en retraite pour se rallier et sortir de
la zone de feu dans laquelle ils s'etaient engages.

On se reformait lentement. Ces decharges ecrasantes avaient serre le
coeur des volontaires. Lorsque tout a coup, le cri de: "Voila
Garibaldi!" se repete d'un bout a l'autre des lignes. Un regiment
piemontais, arrivant tout frais sur le champ de bataille, se precipite
en avant tete baissee, Garibaldi le precede; il est suivi par tout le
reste de l'armee qui se reforme comme elle peut en marchant en avant. Le
combat se retablit. La route consulaire abordee a la baionnette est
enlevee et les troupes royales sont rejetees vers le rivage. Mais la,
chaque champ est une redoute qu'il faut forcer. Ces diables de haies
sont infranchissables. Il faut les abattre a coups de crosse et couper
les cactus a coups de sabre. L'ennemi, en fuyant, a abandonne une piece
sur la route, le general Garibaldi, qui en ce moment n'a aupres de lui
que Missori et deux ou trois guides, l'apercoit, et on s'empresse de la
jeter dans le fosse, ne pouvant l'emmener; car, au meme moment, une
dizaine de braves lanciers de l'armee napolitaine faisaient une charge
pour tacher de degager leur piece et de la ramener. Apres avoir parcouru
deux ou trois cents metres et passe a cote de Garibaldi et de ses
compagnons sans y prendre garde, ils revenaient, renoncant a l'espoir de
retrouver leur canon, lorsqu'ils apercurent le general et se
precipiterent, la lance baissee, sur le petit groupe d'hommes qui
l'entourait.--Pends-toi, brave Dumas, tu n'etais pas la pour raconter ce
combat digne de d'Artagnan!--D'un coup de revers de sabre, le general
Garibaldi abat presque la tete du major qui commandait les lanciers.
Missori tue le second et le troisieme. Les autres s'espadonnent avec les
guides. En resume, huit lanciers et huit chevaux restent sur le carreau
et le Dictateur s'elance vers de nouveaux hasards.

Les volontaires avancent toujours avec intrepidite, les Napolitains ne
cedent que pied a pied. Les terrains conquis sont couverts de morts et
de blesses parmi lesquels il y a bien plus de volontaires que de soldats
royaux. Ou arrive enfin aux roseaux ou l'on se bat a bout portant.

Encore refoules, les Napolitains se precipitent vers l'isthme et le
pont, suivis de pres par les Garibaldiens. Mais a ce moment, la batterie
du pont se demasque et fait pleuvoir sur ceux-ci une grele de mitraille.
C'est la que leurs pertes furent le plus sensibles. Il est impossible
d'aller de l'avant sous cette pluie de biscaiens et cependant un plus
long temps d'arret compromet le succes de la journee. Le Dictateur
parait et, en meme temps que le cri de Vive Garibaldi! sort de toutes
les bouches, toutes les poitrines s'elancent au feu; la batterie est
escaladee, quelques pieces, attelees a la hate, fuient au galop de leurs
chevaux; mais deux canons restent au pouvoir des assaillants. Les uns
et les autres arrivent pele-mele sur l'isthme. De tous cotes la ville
est envahie. Pourchasses dans les rues, les royaux se hatent de gravir
les rampes du chateau et se refugient dans la forteresse, aux
acclamations des volontaires. Ceux-ci, apres l'avoir tournee, attaquent
et enlevent immediatement deux tours et une demi-lune, en face de la
porte principale du chateau, vers l'interieur de la presqu'ile. Le
_Veloce_ etait venu aussi prendre sa part du combat et tirait a boulet
sur l'armee royale. Un instant le general Garibaldi se rendit a bord;
et, au moment ou les Napolitains essayaient une sortie du chateau,
plusieurs volees de mitraille lancees par les grosses pieces du bord les
arreterent court et les forcerent a rentrer au plus vite dans la place.

Telle etait la situation a cinq heures et demie du soir. Le reste des
troupes royales etait enferme et bloque dans la citadelle de Milazzo,
tandis que sur les hauteurs, du cote de Spadafora et du Jesso, on
apercevait des colonnes napolitaines s'eloignant en toute hate dans la
direction de Messine.

Le soir, Milazzo etait occupee par une division de l'armee sicilienne et
toutes les rues, routes et chemins aboutissant a la citadelle,
barricades et defendus par de forts detachements.

Pendant le combat, on avait apercu au large deux grands navires de
guerre croisant sans pavillon. Au premier abord, le chiffre des pertes
du cote des Garibaldiens fut estime a pres de 800 hommes hors de
combat.

Les Napolitains n'en accuserent qu'environ 300.

Voici les deux bulletins du quartier general garibaldien:

        "Camp national de Meri, le 20 juillet.

    "Ce matin a six heures commencait un echange de coups de fusil;
    on crut d'abord a une affaire d'avant-postes, mais ce fut
    bientot une melee generale. Les royaux avaient de l'artillerie,
    les notres en manquaient. La melee fut terrible: les royaux
    etant a l'abri, les notres se battant a decouvert. Un moment la
    position parut difficile; mais au nom magique de Garibaldi, les
    notres s'etant elances comme des lions, les positions furent
    enlevees, et, a trois heures vingt-cinq minutes, nos troupes
    entraient a Milazzo, apres s'etre emparees de cinq pieces
    d'artillerie, dont trois conquises pendant le combat, hors des
    murs, et les deux autres a l'entree.

    "Le vapeur le _Veloce_ canonna le fort, ou les royaux se
    renfermerent, toujours poursuivis a la baionnette; ils y sont
    presses comme dans un baril d'anchois.

    "Les notres ont pris ensuite la premiere porte du fort et un
    bastion, ou notre drapeau flotte sur une tour.

    "Nous devons deplorer des pertes graves; celles des royaux sont
    enormes. On regarde comme certain la reddition du fort et de la
    colonne entiere. A l'instant arrive un renfort pour nous avec
    des canons rayes. Les soldats de Spadafora se retirent au
    Jesso."


        "Deuxieme bulletin.--21 juillet.

    "Hier, a six heures du matin, la lutte s'engagea a Milazzo, et
    elle ne finit qu'a huit heures du soir. La melee fut terrible.
    On combattait sur toute la ligne. Il y eut un grand carnage des
    bourbonniens qui se battaient avec beaucoup de tenacite, de
    sorte qu'il fallut gagner du terrain pied a pied sous une pluie
    de mitraille. Le champ de bataille, couvert de cadavres ennemis
    et de bagages de toutes sortes, avec cinq canons, fut enfin
    conquis aux cris de: _Vive l'Italie! vive Garibaldi!_

    "Nos jeunes gens ont rivalise d'enthousiasme avec les braves de
    la legion Garibaldi, qui a ete la premiere au combat et la
    premiere a courir a la baionnette pour forcer Milazzo et
    s'emparer aussi des premier et deuxieme reduits de la
    forteresse, toujours la baionnette dans les reins des
    bourbonniens.

    "Nos pertes n'ont pas ete excessives. La legion Garibaldi a eu
    quelques hommes legerement blesses; nos jeunes gens ont aussi un
    peu souffert, mais les pertes des braves du continent ont ete
    sensibles. D'enormes dommages ont frappe, l'ennemi qui, en
    fuyant, a ete accule aux redoutes et de la dans le reste de la
    forteresse. Il a ete poursuivi jusque-la, et on a coupe les
    conduites d'eau.

    "Ce matin 21, le _heros_ Bosco s'est presente au Dictateur et a
    demande a sortir avec les honneurs de la guerre. "Non, a repondu
    Garibaldi, vous sortirez desarmes, si cela vous plait."

    "Fabrizzi et Interdonato ont marche sur le Jesso par ordre du
    generalissime. L'ennemi, qui occupait cette position, s'est
    retire aussitot vers Messine.

    "Le Dictateur, dans un combat de cavalerie a Milazzo, a d'un
    revers de son sabre fait sauter le bras et l'epee au major du
    corps napolitain, qui le poursuivait; apres quoi la cavalerie
    napolitaine a ete dispersee et, detruite. Juste punition d'une
    opiniatrete fratricide.

    "Vive l'Italie! Vive Victor-Emmanuel!"

Le soir meme du combat, et malgre l'insuffisance du service d'ambulance,
tous les blesses furent releves, aussi bien ceux des Napolitains que
ceux de l'armee liberale, et transportes, partie a Barcelona partie dans
les maisons de Milazzo qui etaient restees presque desertes: tous les
habitants s'etant refugies sur l'extremite de la presqu'ile ou se
trouvent une grande quantite de villas.

Le consul d'Angleterre s'etait empresse de mettre sa maison a la
disposition du general Garibaldi et de son etat-major. Toute la nuit, la
ville fut illuminee par les volontaires. Le premier soin de Garibaldi,
apres avoir pense a ses blesses, fut de donner l'ordre au general
Fabrizzi et au chef de guerillas Interdonato de marcher avec leurs
troupes sur le Jesso, vers les plus proches versants de la ceinture de
montagnes qui entoure Messine, pour obliger les troupes qui battaient en
retraite de Spadafora a gagner cette ville au plus vite, et inquieter,
par ce mouvement, les troupes royales dans le cas ou elles chercheraient
a faire une pointe pour degager le general Bosco.

Le 21 et le 22, on commenca, du cote de l'armee nationale, quelques
travaux d'attaque contre le chateau.

Manquant d'artillerie de siege, le general Garibaldi etait resolu a
proceder par la mine contre les defenses de la place. De son cote, le
chateau envoyait des boulets et de la mitraille partout ou il apercevait
un assaillant. Le 23, au matin, trois batiments de commerce francais, le
_Charles-Martel_, la _Stella_ et le _Protis_, fretes par le gouvernement
napolitain, arrivaient sur la rade de Milazzo, charges de vivres et de
munitions pour l'armee royale. Grand fut l'etonnement du premier des
capitaines de ces navires, M. de Salvi, commandant le _Protis_, en
debarquant, de se voir conduit au general Garibaldi, quand il croyait
rencontrer le general Bosco.

Apres avoir explique au Dictateur quelle etait sa mission, il lui
demanda a retourner a son bord pour decider avec les capitaines des deux
autres navires ce qu'ils avaient a faire. En ce moment, l'aviso a vapeur
de guerre, la _Mouette_, commandant Boyer, qui se rendait a Messine et
devait toucher a Milazzo, mouillait a cote du _Protis_. Le commandant
Boyer s'etait a juste titre emu de la fausse position dans laquelle se
trouvaient, ces trois batiments francais. Apres avoir convoque les
capitaines et apprenant que le general Garibaldi les laissait
entierement libres de leurs manoeuvres, il les engagea a faire route
pour Messine.

M. de Salvi qui, independamment du transport qu'effectuait son navire,
avait une mission particuliere de la cour de Naples, declara alors au
commandant de la _Mouette_ qu'il croyait de son devoir, avant
d'appareiller, de faire tout son possible pour communiquer avec le chef
de l'armee royale.

Quelques instants apres, la _Mouette_ continuait sa route sur Messine et
le _Charles-Martel_ et la _Stella_ la suivaient de pres. Quant au
capitaine du _Protis_, il se faisait debarquer et retournait chez le
general Garibaldi; celui-ci s'empressa de lui donner l'autorisation de
se rendre a la citadelle pour accomplir sa mission. Il le chargea meme,
de son cote, d'un projet de capitulation qu'il devait soumettre au
general Bosco. Garibaldi offrait la liberte aux officiers, mais il
demandait que les troupes restassent prisonnieres de guerre. De plus, il
faisait prevenir le commandant de l'armee royale que deux mines etaient
assez avancees pour rendre certaine l'ouverture de plusieurs breches et
que, s'il refusait la capitulation, on serait force de recourir a ce
moyen. M. de Salvi etait accompagne d'un clairon avec drapeau blanc et
d'un officier, afin de pouvoir, sans encombre, arriver a sa destination.
Ce ne fut qu'apres deux ou trois appels de clairon que deux officiers
napolitains, sortis par la poterne, vinrent s'informer de ce que
desirait le parlementaire et, sur son explication, le prierent
d'attendre quelques instants pour qu'ils pussent aller rendre compte de
sa demande d'introduction au general Bosco.

Dix minutes apres, ils etaient de retour. Le clairon et l'officier
devaient rester ou ils etaient. On banda les yeux a M. de Salvi et on ne
lui enleva son bandeau que dans la chambre meme du general Bosco.

La conversation s'engagea en italien. Mais M. de Salvi ayant dit qu'il
etait Francais, le general s'excusa de lui avoir fait bander les yeux,
quoique ce fut une des exigences de la guerre. Apres avoir accompli sa
mission, M. de Salvi fit part au general des propositions de Garibaldi.
"C'est impossible, lui repondit Bosco, moi et mes soldats nous tiendrons
dans la place, et jusqu'a la derniere extremite je n'abandonnerai ni ma
troupe, ni la forteresse.

"Bien plus, ajouta-t-il, que le general Garibaldi m'indique
l'emplacement de sa mine, et j'irai le premier m'y faire tuer a la tete
de mes soldats." En le congediant, il dit a M. de Salvi que, sans un
ordre formel de son gouvernement, il ne rendrait jamais la place.

Le capitaine du _Protis_ fut reconduit les yeux bandes, comme il etait
venu, jusqu'a l'endroit ou il avait laisse son escorte, et vint de suite
transmettre au Dictateur la reponse du commandant des troupes royales.
Garibaldi, appreciant la fermete de Bosco et ayant hate d'en finir afin
de pouvoir diriger ses troupes sur Messine et eviter les lenteurs et
l'effusion de sang que pouvait entrainer une attaque de vive force, pria
M. de Salvi de retourner aupres du general Bosco et de lui porter de
nouvelles conditions. Le capitaine accepta avec empressement cette
mission conciliatrice; il pria toutefois Garibaldi de lui donner son
ultimatum par ecrit.

Cette nouvelle tentative n'eut pas plus de succes que la premiere. Le
commandant de la citadelle declara nettement que sa position n'etait pas
assez precaire pour l'obliger a accepter de telles propositions, qu'il
devait attendre les ordres de son gouvernement, et que, dans tous les
cas, et en temps et lieu, si cela etait necessaire, il enverrait
lui-meme un parlementaire: tout en desirant de grand coeur, comme le
general de l'armee nationale, eviter des sacrifices inutiles, il voulait
cependant, avant tout, sauvegarder son honneur et celui des troupes que
S.M. le roi de Naples avait daigne lui confier.

En descendant du chateau, M. de Salvi apercut au large quatre fregates
napolitaines courant a toute vapeur sur le port de Milazzo, l'une de ces
fregates, le _Fulminante_, battait pavillon de contre-amiral. Comme
cette petite escadre avait le vent debout et que, d'ailleurs, la brise
etait tres-faible, on ne s'apercut pas au premier moment que le
_Fulminante_ avait arbore pavillon parlementaire.

M. de Salvi, prevoyant une attaque napolitaine et sachant son navire
mouille pres de terre, par consequent dans une position dangereuse, se
hata de porter cette derniere reponse au general Garibaldi et de
regagner son bord pour pouvoir parer aux eventualites. La vue de
l'escadre napolitaine fit accourir sur les remparts toute la garnison du
chateau de Milazzo et ses acclamations suivaient les navires qui
avancaient grand train.

De leur cote, les Garibaldiens prenaient les armes; la generale battait
partout, et on armait precipitamment trois batteries disposees a tout
evenement sur les quais, pendant que l'artillerie de campagne venait au
galop se ranger sur l'isthme. De plus, le _Veloce_, que la rupture d'un
de ses pistons obligeait a l'inaction et qui, amarre derriere le mole,
avait ainsi sa coque abritee du feu de l'ennemi, transportait toute sa
batterie sur le meme bord, prete a faire feu.

Mais bientot on distingua le pavillon parlementaire; et un colonel
d'etat-major, envoye par le roi de Naples, debarqua a terre et fut recu
par un colonel aide de camp du Dictateur. Apres quelques pourparlers et
quelques allees et venues, on tomba d'accord sur les articles de la
capitulation.

Pendant que ces faits se passaient a terre, la _Mouette_, qui n'avait
fait que toucher a Messine et dont le commandant etait inquiet sur le
sort du _Protis_, mouillait de nouveau sur rade a cote de celui-ci. Vers
les sept heures, le colonel Anrani, charge de la capitulation par le roi
de Naples, avait une entrevue avec Bosco; la capitulation etait
definitivement signee, et le _Protis_ appareillait immediatement pour
porter a Messine l'ordre au _Charles-Martel_, au _Bresil_, a la
_Stella_, a la _Ville de Lyon_, etc, de venir embarquer la garnison de
Milazzo.

D'apres les conditions de la capitulation, les troupes devaient sortir
avec armes, bagages et les honneurs de la guerre, mais sans munitions;
les pieces de campagne devaient etre partagees ainsi que celles de
position; quant aux chevaux de la cavalerie, ils restaient a l'armee
nationale avec la moitie des mulets.

Le total des troupes enfermees dans la citadelle s'elevait a pres de
4,000 hommes d'infanterie, 240 chasseurs a cheval et deux batteries
d'artillerie. Il y avait, de plus, 90 blesses et 6 officiers dont 5
amputes.

Le 24, dans la journee, l'embarquement commencait et, le 25, la
citadelle etait remise a l'armee nationale. Il y eut, dit-on, au dernier
moment de l'evacuation, un evenement assez curieux. La garnison
napolitaine avait emporte, naturellement, les pieces de canon que lui
accordait la capitulation. Mais, lorsque la citadelle fut remise, on
prevint le general Garibaldi que les pieces qui lui etaient echues en
partage avaient ete enclouees par les Napolitains avant de partir.
Garibaldi, furieux de ce procede deloyal, se hata de se rendre de sa
personne a bord de l'amiral napolitain et se fit remettre un nombre de
pieces egal a celles enclouees.

Avant d'en terminer, pour toujours probablement, avec Milazzo, il faut
convenir qu'enfermee dans une citadelle, sans vivres, sans espoir d'etre
ravitaillee, l'armee royale semblait n'avoir d'autre ressource qu'une
capitulation a merci. Cependant, il faut le dire a l'honneur du general
Bosco, il n'a pas un seul instant faibli ni dementi son caractere de
soldat. Si, comme general, il a fait une singuliere manoeuvre en se
laissant acculer a la presqu'ile de Milazzo, il a rachete cette erreur
par un grand courage et une veritable dignite dans sa conduite.

Les rapports entre le Dictateur et le general Bosco sont restes tout le
temps dans les termes de haute convenance et de parfaite courtoisie,
quoi qu'en aient pu dire certaines versions triviales suggerees par
l'exageration des partis.

Quant a la ville de Milazzo elle-meme, helas! il faut encore l'avouer,
ses braves habitants n'avaient trouve rien de plus simple que de
decamper en toute hate. La jeunesse guerriere de cette cite de 12,000
ames ne fournit pas plus de volontaires a Garibaldi que de renforts au
general Bosco. Cependant c'etait une des villes citees pour leur
royalisme.

Ce qu'il y a de certain, c'est que chacun etait demenage avec armes et
bagages, emportant matelas et couvertures. C'est a peine si l'on put
trouver de la paille pour les blesses, aussi bien d'un parti que de
l'autre. Les quelques citadins retenus par des motifs quelconques dans
la ville, refusaient sans honte un verre d'eau aux blesses. Quant au
linge et a la charpie confectionnee par les charmantes peninsulaires, la
quantite en aurait pu tenir dans une coque de noix. Le pharmacien de
l'endroit lui-meme avait emballe ses remedes et ses purgations.

Aussitot que les evenements de Milazzo parvinrent a Messine, il y eut
grand mouvement militaire et brouhaha general sur toute la ligne. Les
troupes de reserve furent massees en face de la citadelle, sur le champ
de manoeuvres de Terranova, pendant que de fortes colonnes
s'etablissaient sur toutes les hauteurs environnantes. La cavalerie
seule etait, par ordre superieur, evacuee en toute hate, et a force de
transports, sur Reggio.

Le 22, les batiments de guerre etrangers etaient invites, le plus
poliment possible, a aller mouiller partout ailleurs que dans le port,
ou ils genaient l'oeuvre probable de destruction de la ville par la
citadelle; tandis que les navires de commerce recevaient l'ordre de
deguerpir immediatement sans tambour ni trompette, emportant leur
chargement d'habitants emigres. On vit donc, des le matin, de longs
chapelets de batiments de toutes sortes remorques, qui par des
embarcations, qui par de petits vapeurs, gagner les mouillages de la
Grotta, du Ringo, du Paradis, etc., et venir, comme en 1848, s'abriter
sous les pavillons des vaisseaux de guerre etrangers. Ce fut un
spectacle singulierement, mais aussi tristement pittoresque, que celui
de cette ville nomade installee sur la plage de toutes les manieres les
plus bizarres qu'il soit possible de se figurer. Que l'on s'imagine, en
effet, une agglomeration compacte de trois ou quatre cents batiments de
commerce et barques de peche; autant de bateaux, de canots qu'il pouvait
en tenir blottis les uns contre les autres, hales a terre; les uns en
bon etat, les autres tombant en ruine; ceux-ci bien espalmes,
embarcations de luxe, celles-la de vraies arches de Noe, galipotees,
goudronnees et sentant le vieux poisson a dix kilometres a la ronde:
tout cela couvert de tentes bariolees plus etranges les unes que les
autres. En verite, on ne saurait avoir idee de cette ville aquatique,
qui va servir de refuge a toute une population. A terre, sur la plage,
ce sont des gourbis, des profusions de haillons accroches a toute espece
de choses, des feux qui brulent pour faire la cuisine, des myriades
d'enfants, males et femelles, qui gigottent, partie dans le sable,
partie dans l'eau, a qui mieux mieux. De toutes parts, des puits creuses
dans le sable pour fournir une eau saumatre a des gens qui meurent de
soif. Puis, le long du chemin qui suit la mer, des maisons bondees
d'habitants; une route ou l'on ne saurait circuler qu'au pas, tant il y
a de monde et d'obstacles. Tout cela cause, crie, hurle, boit, mange,
sans souci et avec une tranquillite parfaite. N'est-on pas hors de la
portee des canons de la citadelle et sous ceux de la France et de
l'Angleterre? En rade, c'est encore plus curieux: ici, un vieux prelart
de toile ciree, une vieille tente en coutil, jadis les beaux jours du
gaillard d'arriere d'un paquebot, abritent une pauvre mais
nombreuse famille, entassee pele-mele, depuis l'aieul jusqu'aux
arriere-petits-enfants, dans une lourde barque de peche; la, des tapis
de Turquie, des couvertures africaines ou espagnoles etalent, sur le
pont d'un brick-goelette ou d'une belle balancelle catalane, le luxe de
leurs brillantes couleurs. Plus loin, un caboteur moins luxueux a
desenvergue ses voiles pour mettre a l'abri sa population passagere, et
partout un luxe inoui de bibelots de toutes natures, d'ustensiles de
toutes sortes, de poteries, de batteries de cuisine, de poeles et de
poelons, de gargoulettes de formes variees, accroches de ci, de la; des
montagnes de matelas s'alignant le soir a la belle etoile, les uns a
cote des autres; puis, comme a terre, a bord de chacun de ces bateaux en
particulier, un monde d'enfants, glapissant, braillant, gemissant a qui
mieux mieux, des meres aux voix criardes et discordantes, des chiens qui
aboient, des moutons qui belent, et toujours cette inimitable odeur de
poisson grille, d'ail frit, d'oignons sautes, au milieu d'une atmosphere
de fumee a vous faire eternuer pendant vingt-quatre heures. C'est a y
perdre l'ouie et l'odorat.

Malheureusement, tout cela est de la triste comedie. Si on rit par ici
en regardant, on est tente de pleurer par la en detournant les yeux; ce
sont d'affreuses miseres qui, certes, eussent ajoute de graves maladies
au fleau de la guerre, si une position aussi heteroclite eut dure
quelques jours de plus. On a vu des embarcations, une entre autres sur
laquelle il y avait dix-huit enfants dont le plus age n'avait pas douze
ans, rester plus de quarante heures sans avoir un morceau de galette ou
de biscuit a distribuer a leur population; et, sans la generosite de
quelques riches proprietaires des maisons de campagne environnantes,
beaucoup de ces malheureux n'eussent certainement pu trouver a soutenir
leur existence. Le besoin n'etait pas seulement l'effet du manque
d'argent, car, meme a prix d'or, il etait difficile de trouver quelque
chose. Beaucoup de ces pauvres gens vivaient au jour le jour avec leurs
enfants, n'ayant a se partager qu'une ou deux maigres pommes de terre.
Heureusement cette triste situation ne dura qu'une semaine; sans cela,
en verite, et pour empecher tout ce monde de mourir de faim, il eut
fallu forcement, je crois, que les batiments de guerre vidassent leur
soute a biscuit. Ce qu'il y avait de consolant, c'etait de voir qu'en
somme, cette population prenait assez philosophiquement son parti et
endurait ses privations avec une resignation digne d'un meilleur sort.

Chacun, cependant, abandonna sans le regretter, je crois, les plages
hospitalieres du Ringo et de la Grotta.

On pretend, est-ce a tort ou a raison? que Messine devait etre la rancon
de la citadelle de Milazzo. Il est, en effet, permis de penser que le
Dictateur avait bien pu sacrifier la satisfaction de faire prisonnier
tout le corps du general Bosco a l'avantage d'occuper, sans coup ferir,
et de sauver d'un bombardement la ville de Messine.

Cette malheureuse cite n'etait plus qu'un vaste desert depuis
l'evacuation complete du port.

Le 23 et le 24 se passerent sans encombre. Partout, des soldats allant
et venant, en troupe ou isolement, sans avoir trop l'air de savoir ce
qu'ils faisaient ou ce qu'ils voulaient faire. Le 25 au matin, les rues
desertes retentirent de plusieurs decharges de mousqueterie. Un nombreux
rassemblement, compose d'au moins trois personnes placees a un kilometre
environ l'une de l'autre avait provoque cet acces belliqueux de la part
des Napolitains. On voyait, au meme instant, les troupes campees a
Terranova se diriger en profondes colonnes vers la ville. Les deux forts
Gonzague et San-Salvador avaient leve leurs ponts-levis, ferme leurs
portes et hisse leurs pavillons. Une multitude de baionnettes brillaient
derriere les embrasures aveuglees de canons. Vers une heure, les postes
du Telegraphe et de la Torre etaient enleves par Interdonato et le
general Fabrizzi. Les troupes royales, apres une courte resistance,
s'etaient repliees sur leur vraie ligne de defense, le mont Barracone et
les hauteurs qui s'y rattachent.

Elles paraissaient disposees a une serieuse resistance.

A quatre heures de l'apres-midi, on vit toutes les hauteurs en face de
cette ligne de defense occupees par les guerillas d'Interdonato. Le
pavillon national flottait sur plusieurs points de la montagne.

A cinq heures, une longue fusillade, mais de peu de vivacite, s'engagea
entre les deux lignes. Elle dura jusqu'au lendemain 26 a deux heures du
matin environ. Toutes les hauteurs d'ou l'on pouvait apercevoir le
combat, etaient couvertes de spectateurs venant assister en curieux a
cette petite guerre d'avant-gardes qui leur promettait, pour le
lendemain, une belle representation militaire. Aussi, des quatre heures
du matin, se hataient-ils de revenir a leurs places de la veille; mais,
quel desenchantement! pas plus de Napolitains que de Garibaldiens. Les
forts de terre seuls, avec leur air de mauvaise humeur, gardaient leurs
portes fermees et leurs pavillons hauts. A onze heures, arrivaient dans
le port de Messine un grand nombre de vapeurs napolitains et de
transports. L'armee royale commencait son evacuation.

Inderdonato, la veille au soir, avait attaque sans ordre ou, plutot,
malgre des ordres contraires. A la fin on s'etait entendu. L'armee
royale etait rentree en ville pour s'embarquer et les _picchiotti_
s'etaient couches.

Comme les Napolitains s'etaient masses autour de la citadelle,
abandonnant completement la ville, quelques hommes de la garde civique,
bien avises, etaient rentres en ville et avaient pris immediatement
possession des postes.

Le meme jour, une proclamation invitait les habitants a reintegrer leurs
demeures, les assurant qu'un arrangement etait conclu et qu'ils
pouvaient, sans aucun danger, boire, manger, dormir et se promener de
par la ville avec tous les drapeaux et les vivat possibles.

Cependant, le mouvement s'opera lentement. On ne paraissait pas avoir
grande confiance dans la bonne foi de cet armistice. Une seconde
proclamation, annoncant l'approche de Medici et son entree dans la ville
pour le lendemain, eut un peu plus de succes. On vit quelques matelas
franchir timidement les portes de Messine.

Le 27, au matin, le general Medici, avec sa division, qu'une
proclamation du Dictateur avait porte, le jour meme de la bataille de
Milazzo, a l'ordre du jour de l'armee, faisait son entree dans la ville
et l'on attendait le general Garibaldi dans l'apres-midi.

Tout le monde etait d'accord, tout le monde s'embrassait. Chacun courait
par la ville a ses petites affaires. Les soldats napolitains trottaient
gravement par les rues pour acheter leur macaroni. Leurs officiers
regardaient et flanaient. Les volontaires ne manquaient pas d'envie d'en
faire autant et, aussitot que faire se put, les fusils en faisceaux et
les sacs a terre, ils s'en furent de leur cote, lorgnant aux balcons,
clignant de l'oeil aux ruelles et frayant sans rancune avec la
soldatesque napolitaine dont les figures, epanouies par la certitude
d'une bataille evitee, respiraient le bonheur de se sentir vivre et de
reprendre bientot la route de Naples.

Dans l'apres-midi, Garibaldi fit son entree, aux applaudissements
frenetiques de tout le monde; quelques drapeaux commencerent a se
montrer avec froideur. On semblait, dans la ville, avoir beaucoup de
peine a s'habituer a l'idee d'etre piemontise a perpetuite et, certes, a
ce moment, le roi galant homme n'aurait eu qu'une mesquine ovation.

Presque aussitot entre a Messine, le Dictateur monta en voiture et se
rendit au Faro, a l'entree du detroit, en passant par le Ringo, le
Paradis, la Grotta, etc. Cette course ne fut qu'un immense triomphe, un
cri de _Viva Garibaldi!_ depuis la sortie de la ville jusqu'a l'extreme
pointe du Faro; et, cependant, il traversait la malheureuse population
sur laquelle les souffrances et les privations pesaient depuis quelques
jours. Quant a _il Re galantuomo_, il n'en fut pas plus question que de
l'empereur de la Chine, malgre l'air conquerant des officiers piemontais
qui accompagnaient le Dictateur. Quand celui-ci rentra en ville, a la
nuit faite, ce fut une course aux flambeaux jusqu'a Messine. Toutes les
fenetres, tous les navires, jusqu'au plus petit bateau, s'etaient
pavoises et illumines de feux de couleurs.

Ce dut etre un agreable spectacle pour les troupes napolitaines campees
de l'autre cote du detroit a San-Giovanni, au fort d'Alta-Fiumare, a la
Torre del Cavallo, etc.

Aussitot le retour de Garibaldi, deux compagnies de chasseurs des Alpes
partaient pour le Faro et, comme le general en chef, etaient conduites
jusqu'a leur poste avec force flambeaux et musique.

La treve ne fut cependant definitivement signee que le 29. Les
principaux articles stipulaient:

La remise a Garibaldi des forts situes en dehors de la ville avec leur
armement;

L'embarquement, sans obstacle, de tout le personnel et le materiel de
l'armee;

La libre circulation en ville, pour leurs provisions, des soldats ou
officiers napolitains;

La libre circulation du detroit;

La parfaite egalite, pour les deux pavillons, dans le port de Messine;

Une route, qui traverse le champ de manoeuvres de Terranova, devait
servir de ligne de demarcation entre les deux partis;

De chaque cote de cette route, deux lignes de factionnaires gardaient
chaque zone;

De plus, dans le cas ou les hostilites recommenceraient entre la
citadelle, qui restait aux Napolitains, et la ville, la cessation de
l'armistice devait etre denoncee au moins quarante-huit heures a
l'avance.

Des le lendemain 30, Messine semblait se reveiller d'un long cauchemar.
Les batiments de guerre rentraient dans le port. Ceux du commerce les
suivaient. La flottille de bateaux emboitait le pas intrepidement; et,
le soir, sur le quai, dans la strada Ferdinanda, au Corso, tout le monde
se promenait comme d'habitude a la lueur d'une illumination assez
mesquine. Les cafes, rouverts par enchantement, regorgeaient de
consommateurs, Garibaldiens et Napolitains pele-mele; et, enfin, sur les
deux heures chacun rentrait chez soi. Laissons-les dormir.




V


Pendant que les Garibaldiens se casernaient de leur mieux et partout ou
ils pouvaient, l'armee royale, entassee vis-a-vis la citadelle, se
hatait d'operer son evacuation. Tous les vapeurs de guerre napolitains
et les transports se mettaient a la besogne. C'est a Reggio que la plus
grande partie etait transportee. D'autres etaient diriges sur Scylla et
la Bagnara. Le general Clary ne voulait se reserver, dans la citadelle,
que le nombre d'hommes strictement necessaire pour sa defense. Un mois
plus tard, a la date du 31 aout, il ne restait plus au gouvernement
royal que trois points dans toute la Sicile: la citadelle de Messine,
celle d'Augusta et la ville de Syracuse.

Laissons donc cette armee gagner avec enthousiasme la terre ferme, et
revenons aux Garibaldiens. De grandes mutations avaient eu lieu dans
l'armee nationale. Les generaux de brigade Cosenz, Medici, Carini et
Bixio avaient ete eleves au grade de majors generaux. Le colonel Ehber
passait general de brigade. L'armee devait s'appeler desormais armee
meridionale. Organisee definitivement, elle se composait de quatre
divisions d'infanterie, d'une brigade d'artillerie et d'une brigade de
cavalerie. Un appel aux armes avait ete fait aussi a la jeunesse
messinoise qui n'avait pas mis beaucoup plus d'empressement, pour ne pas
dire moins, que celle de Palerme a s'enroler sous les couleurs
piemontaises. Bien plus, beaucoup de Siciliens, de Messinois entre
autres, deja incorpores dans l'armee, ne se genaient pas pour manifester
tout haut leur repugnance a passer dans les Calabres. Il y eut meme, a
ce sujet, une histoire que l'on peut raconter sans en garantir
l'authenticite quoiqu'elle soit parfaitement dans les idees de la
population de Messine. Un general ***, ayant appris qu'un bataillon,
entre autres, de recrues siciliennes declarait qu'il ne passerait pas
sur le continent, avait fait reunir les hommes et leur avait adresse une
allocution dont voici a peu pres le resume:

"Vous etes de braves enfants de la patrie. Elle vous est
reconnaissante, le general Garibaldi aussi et moi de meme. Mais voire
role est de defendre la Sicile, le notre d'aller en Italie. Par
consequent, il n'y a pas d'inconvenient a vous declarer que ceux d'entre
vous qui voudront partir volontairement pour partager nos dangers seront
seuls appeles a ce service. Les autres resteront dans les depots." Ce
bataillon se composait d'environ 350 hommes. Six se declarerent prets a
combattre de nouveau pour la liberte et a passer en Calabre. Comme le
courage de ces six volontaires faisait honte aux autres, ils ne
trouverent rien de mieux que de les huer. Les mauvaises langues
pretendent que le general, qui n'avait voulu que s'assurer serieusement
du plus ou moins de bonne volonte des hommes du bataillon, avait pris
ses precautions. Tous ces heros, au lieu d'etre renvoyes chez eux
auraient ete immediatement divises par faibles fractions et incorpores
dans d'autres bataillons avec lesquels ils durent marcher bon gre mal
gre. Du reste, une grande preuve de la froideur de cette nation pour le
metier des armes, c'est la mauvaise humeur generale avec laquelle fut
accueilli le decret de la conscription, et l'opposition qu'il souleva
dans toutes les villes et campagnes de la Sicile. Le discours que le
Dictateur prononca, en faisant ses adieux a Messine, et que l'on
trouvera plus loin, vient lui-meme attester que c'etait avec peine que
la jeunesse endossait le baudrier.

Neanmoins, de Palerme a Messine, ce n'etait qu'une suite non
interrompue de detachements de volontaires accourus de divers points du
continent; la plupart de ces detachements etaient tres-nombreux et
allaient le plus vite possible rejoindre l'armee meridionale.

Presque tous ces convois arrivaient de Genes, diriges par Bertani et
sous le commandement de leurs officiers particuliers. C'etaient, en
grande partie, des soldats et des officiers piemontais, lombards,
toscans et florentins, ainsi que quelques Venitiens, mais en petite
quantite. Tous, generalement, etaient assez bien equipes et armes.

Une foule de decrets parurent a Messine des l'arrivee du Dictateur. Les
plus importants furent une suite d'arrets des plus severes contre tout
attentat a la vie, aux biens ou a la surete individuelle de quelque
individu que ce fut, y compris tous les employes de l'ancien
gouvernement, meme les sbires. Presque chacune des infractions a ce
decret etait justiciable des conseils de guerre, dont le jugement,
executoire dans les vingt-quatre heures, entrainait la peine capitale.
Les autres decrets avaient principalement rapport a la garde nationale,
aux finances et aux fournitures des troupes. Il serait trop long de les
enumerer.

Des le lendemain de son arrivee a Messine, le Dictateur, avec la fixite
d'idees qui lui est particuliere, commencait les preparatifs du
debarquement en Calabre. Pour cela, il fallait non-seulement une base
d'operations qui etait la Sicile tout entiere, mais un point de depart.
Messine, devenue une ville neutre, bien que la circulation des pavillons
des deux partis y fut autorisee, ne pouvait convenir. De plus, l'ennemi
aurait trop facilement su tout ce qui s'y passait. On choisit donc le
Faro.

Le Faro est un village situe a l'extremite d'une pointe de sable a
laquelle il a donne son nom et qui, lorsqu'on arrive a Messine par le
Nord, se trouve a droite de l'entree du detroit. Deux etangs d'eau
salee, communiquant avec la mer par un canal a moitie comble, occupent
l'entree et le centre de cette espece de presqu'ile. Ce sont les Anglais
qui, lors de leur occupation, ont creuse ce canal pour abriter dans les
etangs les nombreuses canonnieres qu'ils entretenaient le long de la
cote. A l'extremite du Faro se trouve un fanal construit au centre d'un
petit fort carre et casemate. A un kilometre environ de celui-ci, sur la
cote du large en dehors du detroit, existe un fort bastionne qui avait
ete abandonne avec armes et bagages par les Napolitains le surlendemain
de l'affaire de Milazzo. Depuis la tour du Faro jusqu'au village, ce ne
sont absolument que des sables au milieu desquels s'efforcent de surgir
quelques touffes de cactus et de figuiers de Barbarie. La population est
composee presque exclusivement de pilotes du detroit et de pecheurs
d'espadons.

Du Faro a Messine, il existait il y a quelques annees des batteries et
des tours casematees, les unes tres-anciennes, les autres datant de
l'occupation anglaise ou meme plus modernes; mais tout cela avait fini,
faute d'entretien, par tomber en ruines, et il n'y existait pas un canon
au moment ou se passaient ces evenements. La route strategique elle-meme
etait dans un fort triste etat. L'artillerie y fut donc immediatement
dirigee, et immediatement aussi, fut commence un ensemble de travaux de
fortifications et de batteries, defensives pour le Faro, et offensives
pour le detroit.

Chaque jour, plusieurs bataillons s'y rendaient le soir de Messine et le
lendemain etaient releves par d'autres. Ils faisaient, pendant douze
heures de jour, l'office de travailleurs et, pendant la nuit, celui de
soldats. Car l'ennemi etait maitre du detroit; ses nombreux vapeurs le
sillonnaient en tous sens; puis, les cotes de Calabre etant couvertes de
troupes napolitaines, il paraissait chose bien facile, par une nuit
obscure, de jeter a terre sur les plages du Faro quelques milliers
d'hommes.

Le general Garibaldi allait tous les jours inspecter lui-meme les
travaux de ces fortifications passageres et il en profitait pour passer
en revue les bataillons de garde. Il avait toujours soin d'arriver sur
les trois heures ou trois heures et demie du matin, c'est-a-dire a
l'heure ou les appels avaient lieu. On y vit s'elever d'abord, comme par
enchantement, une batterie de huit pieces de trente-deux avec des
parapets d'une epaisseur moyenne de dix metres. C'etait la plus
rapprochee du fanal.

Un chemin couvert reliait cette batterie a une deuxieme de trois pieces
de soixante-huit, tirant en barbette. L'espece de courtine produite par
le chemin couvert qui reliait ces deux batteries, etait armee elle-meme
de plusieurs pieces de vingt-quatre, de caronades et de deux obusiers de
seize. Puis venait, a l'entree du village, une troisieme batterie; une
quatrieme fut elevee un peu plus tard a l'entree du canal et une
cinquieme vis-a-vis l'eglise du Faro. Une grosse tour d'origine
anglaise, construite pres du village, fut armee d'une caronade et d'une
superbe coulevrine en bronze portant les armoiries des chevaliers de
Malte. Les plates-formes du fort du fanal recurent elles-memes huit
pieces de gros calibre. Tout cet ensemble presentait vers le detroit un
front assez respectable pour ne pas etre a dedaigner.

Ces travaux avaient ete commences primitivement sous la direction d'un
officier francais. Mais le general Orsini, ayant quitte le ministere de
la guerre, vint prendre le commandement en chef de l'artillerie de
l'armee meridionale et, en cette qualite, celui du Faro. Il n'eut rien
de plus presse, naturellement, que de trouver mal tout ce qui avait ete
fait, d'en modifier beaucoup les details et quelque peu l'ensemble. Il
eut peut-etre mieux fait de laisser les choses aller leur train et de
tacher de trouver des soldats aux nombreux officiers d'artillerie,
sachant tout excepte ce qu'etait un canon, qu'il avait amenes de Palerme
avec lui. Il y avait, en resume, de quoi mettre trois officiers par
piece ou peu s'en faut.

Des le 10 aout, la pacifique presqu'ile du Faro s'etait metamorphosee en
camp retranche. Sur la plage, en regard du detroit, s'alignaient trois
cents ou trois cent cinquante barques de peche, future flottille de
debarquement. A leur droite, deux batteries de campagne, trophees de
Milazzo et de Calatafimi, deux batteries d'obusiers de montagne,
provenant de la fonderie de canons improvisee a Palerme, et une section
d'obusiers de seize resplendissaient au soleil, abritees en arriere par
une foret de baionnettes en faisceaux, au milieu desquels se promenaient
les factionnaires de chaque bataillon. Tout le village n'etait lui-meme
qu'une vaste caserne ou allaient et venaient constamment des convois de
vivres et de munitions.

Pendant qu'au Faro tout etait aux travaux, au debarquement et a la
guerre, dans la bonne ville de Messine, qui avait reve pour l'avenir le
calme et la tranquillite, rien n'etait plus a la paix.

L'inquietude recommencait a battre en breche le courage des habitants,
et l'apprehension d'un autre bombardement venait de nouveau les empecher
de dormir.

En effet, la cour de Naples, en esperant un instant arreter
diplomatiquement Garibaldi, avait pu s'imaginer qu'en faisant la part du
loup elle le rassasierait, et avait projete l'abandon de la Sicile pour
conserver le reste du royaume; mais revenue de son erreur, elle
commencait a s'emouvoir singulierement de ces preparatifs de
debarquement et de leur apparence menacante.

Elle savait que les forces de Garibaldi s'elevaient deja a plus de vingt
mille hommes, veritables soldats, sans compter les non-valeurs et les
inutilites. Des forts de la Torre del Cavallo, elle pouvait faire
compter les canons de l'aventurier, du brigand auquel, cependant, on
donnait le nom de general dans toutes les transactions de Palerme, de
Milazzo et de Messine. Elle s'effraya donc a juste titre. Cet effroi
gagna naturellement le general Clary, commandant de la citadelle, qui
apres avoir bien cherche, finit par trouver qu'evidemment les environs
de Messine et, par suite, le Faro devaient etre soumis aux termes et
reglements de l'armistice et qu'en consequence, l'armee meridionale
devait aller faire plus loin ses preparatifs d'envahissement; les
batteries qu'on elevait au Faro etant en fait selon lui des ouvrages
agressifs contre la libre circulation du detroit et meme contre les
positions napolitaines des cotes de Calabre. C'etait une interpretation
libre et surtout large. Aussi, sa vive reclamation fut-elle refutee
encore plus vivement. Il s'en suivit pas mal de pourparlers et pas mal
de notes echangees. Comme chacun tenait bon de son cote, il arriva ce
qui arrive presque toujours en pareille circonstance, c'est que, de
guerre lasse, on en resta la. Les Garibaldiens continuerent leurs
preparatifs, et le general Clary conserva l'avantage de pouvoir les
examiner tout a son aise avec sa longue-vue de l'observatoire de la
citadelle. Quant aux habitants, ils firent comme le general Clary; ils
en prirent leur parti.

Bien des moyens furent employes pour rechauffer la tiedeur belliqueuse
des citadins. Un des plus originaux fut, sans contredit, les harangues
en plein air renouvelees des Romains d'autrefois. Voila le Forum, voila
la tribune aux harangues, voila surtout le grand peuple. Mais helas! le
Forum est une petite place mesquine et froide, et la tribune aux
harangues est representee par des treteaux de saltimbanque.

Le peuple roi se compose d'une centaine ou deux de particuliers plus ou
moins heteroclites, et le grand orateur est un monsieur en vareuse
rouge. Quelquefois, ce dernier etait le _padre_ Gavazzi, cordelier
defroque, homme eminemment eloquent, au dire des Siciliens et autres
Italiens, je veux dire Piemontais. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il
criait beaucoup. Quelques autres fois, c'etait le _padre_ Pantaleone, le
chapelain de Garibaldi, le cordelier de Calatafimi. Lui aussi ne
manquait pas d'une certaine eloquence, et, de plus, il prechait a
l'ombre des voutes religieuses. C'etait dans la cathedrale que ses
conferences avaient lieu. Puis, il y eut les manifestations, produit
exclusivement indigene.

Ben-Saia, brave homme s'il en fut jamais, qui, dans toutes les
tentatives revolutionnaires de la Sicile, a fait sa partie, sacrifiant a
la liberte, son idole, fortune et famille; Ben-Saia apparaissait sur la
strada Ferdinanda, brandissant le drapeau national. Immediatement la
foule l'entourait, vite une demonstration a la cathedrale! Une musique!
Celle-ci etait vite trouvee. Alors au pas de charge, agitant les
chapeaux, les mouchoirs, appelant les dames aux balcons, le cortege
s'ebranlait, faisant la pelote de neige tout le long de la route,
arrivait comme un torrent a la porte de la cathedrale que le bedeau
s'empressait d'ouvrir a deux battants. La foule s'y precipitait, comme
un fleuve deborde, ne s'arretant qu'a la balustrade du maitre-autel. On
se hatait d'allumer tous les lampions et cierges disponibles. Pendant
ces preparatifs, la cohue s'agitait tumultueusement dans l'eglise avec
le va-et-vient d'une mer houleuse et un brouhaha a ne pas s'entendre.
Puis, eclatait un air de musique, le plus vigoureux possible. Aussitot
apres, les casquettes, les mouchoirs, les bras, les jambes reprenaient
leur office aux cris repetes cent cinquante fois de: _Viva la Italia!
Viva la liberta! Viva Garibaldi! Viva Gavazzi! Viva la liberta! Viva
Dumas! Viva il Re Galantuomo!_ etc, etc.

Quand on avait ainsi bien crie, et que tout le monde avait la pepie, la
musique detalait, Ben-Saia la suivait, la foule emboitait le pas, on
faisait le tour par le Corso et insensiblement chacun rentrait chez soi,
pendant que le bedeau eteignait ses cierges, refermait precipitamment la
porte de son eglise, et, de peur d'une deuxieme ceremonie analogue a
celle-ci, se hatait de mettre la clef sous la porte.

Toutes les manifestations se ressemblaient ou a peu pres. Mais elles
produisaient peu d'effet sur les sentiments belliqueux. Tout le monde, a
Messine, etait, sans contredit, partisan de la liberte et las du
gouvernement napolitain: on voulait meme bien se battre, a la rigueur;
seulement on tenait a rester chez soi.

Le contact des royaux et des Garibaldiens n'amenait jamais en ville de
rixes ni de vexations reciproques. Mais des consignes mal comprises
provoquaient souvent des haro de part et d'autre. Un jour, un canot
manoeuvre par un ou deux Garibaldiens, louvoyant pour sortir du port,
s'approchait trop du fort San-Salvador dont un factionnaire, le premier
venu, lui envoyait un coup de fusil. Naturellement, le bateau se hatait
de se mettre hors de portee. Un instant apres, un canot du fort
traversait le port pour venir a quai acheter des provisions. Les
Garibaldiens, a leur tour, envoyaient aux Napolitains une bordee de
maledictions et d'injures, et leur montrant une multitude de poings
vigoureux, disposes a taper, les obligeaient de repartir en toute hate.
A la longue, ces taquineries devaient amener et amenerent des coups de
fusil.

Vers le 10, arriva un officier napolitain charge d'une mission speciale
pour le Dictateur. Il devait, par tous moyens et toutes promesses,
tacher d'obtenir du general l'abandon de ses projets sur le continent.
C'est a la meme epoque que le roi Victor-Emmanuel vint aussi mettre sa
lettre dans la balance. Ni l'un ni l'autre ne purent rien obtenir.

L'officier napolitain s'en retourna, enchante, dit-on, de l'accueil
qu'on lui avait fait. Quant au roi Victor-Emmanuel, tout le monde
connait la reponse de Garibaldi.

Au 12, les preparatifs avaient pris des proportions gigantesques. De
leur cote, les Napolitains, sur la cote opposee, prenaient leurs
mesures, et l'escadre royale avait l'air, sinon l'intention, de vouloir
faire bonne garde et empecher tout debarquement. Elle se composait de
six corvettes et de plusieurs petits avisos, ainsi que de quelques
canonnieres. Ce n'etait pas sans une certaine apprehension que beaucoup,
meme des plus determines, parmi les officiers de l'armee meridionale,
envisageaient les projets du Dictateur. Malgre la confiance sans bornes
qu'on avait en lui et l'espece de fascination qu'il exercait sur ses
troupes, plus d'un, en reflechissant a l'operation difficile qui allait
etre tentee, se prenait d'une inquietude que tout semblait justifier.

N'etait-ce pas bien ose d'essayer le passage d'un detroit occupe par une
escadre ennemie, sous le feu croise de ses bateaux a vapeur et de ses
forts, sans autres ressources qu'une quantite de barques qui, au moment
de l'action, seraient encombrees de soldats et dont quatre ou cinq a
peine portaient de petits pierriers? Sans un seul batiment de guerre
pour proteger le passage, a peine avait-on deux ou trois petits vapeurs
pour servir de remorque. Si l'on ajoute encore a tant de desavantages et
de probabilites d'insucces les obstacles materiels que la violence des
courants du detroit et la difference de marche des embarcations devaient
apporter a un ordre regulier de debarquement, la confusion inevitable de
toute operation militaire nocturne, on avouera qu'a l'idee des entraves
qui pouvaient retarder et meme faire echouer l'entreprise, chacun avait
le droit de craindre pour le premier acte d'un drame dont le denoument
devait se jouer a Naples.

Quoi qu'il en soit, le general Garibaldi avait commence, des le 8, a
masser ses troupes dans les environs du Faro. Pres de quinze mille
hommes y furent campes; au premier ordre, ils devaient se jeter dans les
barques et tenter le passage sous la protection des batteries du Faro.
La flottille se composait de plus de trois cents bateaux hales a sec sur
la plage les uns contre les autres et les equipages bivouaquaient a cote
de chaque embarcation. Elle etait organisee en plusieurs divisions.
L'une d'elles etait commandee par un ex-lieutenant de vaisseau de la
marine francaise, M. de Flotte, ancien representant du peuple, qui, a
quelques jours de la, comme Roselino Pilo, devait trouver la mort a la
tete de son petit bataillon ou, plutot, de sa compagnie de marins
francais. Ce bataillon n'etait pas un des elements les moins curieux de
l'armee nationale. Pour servir l'etranger, quelle qu'en fut la cause,
aucun de ses membres n'avait mis de cote ni oublie les moeurs
traditionnelles et les allures debrouillardes du troupier francais.
Aussi, appelait-on cette compagnie, le bataillon des _croque-poules_.
Au milieu de ces sables inhospitaliers, lorsque, generalement, presque
tout le monde restait sur un appetit feroce, oblige de serrer autant que
possible les ceinturons et de grignoter de maigres pitances, le
bataillon des croque-poules menait joyeuse vie et faisait bombance. On y
mangeait des brochettes d'alouettes, des fricassees de pigeons, voire
des rotis de gibier; on s'y procurait meme des plats de douceurs. Aussi
c'etait a qui aurait des amis et des connaissances parmi les
croque-poules; ou y etait toujours bien accueilli, et, autour de chaque
plat ou huit hommes se prelassaient, en se serrant on pouvait facilement
trouver deux ou trois places.

L'artillerie de campagne, avec ses approvisionnements et les attelages,
etait alignee sur la plage, prete a s'embarquer au premier signal sur le
_City of Aberdeen_, le _Duc de Calabre_, l'_Elba_ et l'_Oregon_. Une
trentaine de grands bateaux plats, disposes pour transporter les chevaux
et la cavalerie stationnaient dans le premier etang, ou l'embarquement
devait etre plus facile qu'a la plage. De toutes parts, on etait sur le
qui-vive, et on attendait incessamment l'ordre de depart. Ou apercevait
bien dans le petit golfe, entre la pointe du fort de Pezzo et la Torre
del Cavallo, les croiseurs royaux; mais leurs mouvements etaient indecis
et pouvaient, avec les bruits qui commencaient a courir, donner lieu a
bien des suppositions.

Quelques fusees, lancees par la fregate amirale, attestaient seulement
la surveillance supposee attentive des cotes du Faro par l'escadre
napolitaine. Le 9, les preparatifs se continuerent encore plus
activement. Mais la nuit s'annoncait sombre et orageuse. Vers les six
heures du soir, en effet, le ciel se couvrit de gros nuages, les cotes
de Calabre disparaissaient dans des grains multiplies et le tonnerre
grondait sourdement sur les hauteurs d'Aspri-Monte. La brise, qui avait
fraichi en meme temps, rendait la mer tellement clapoteuse dans le
detroit qu'il etait peu probable qu'aucune tentative put etre essayee
avec succes contre la cote italienne. Cependant, a minuit environ, par
une obscurite des plus intenses, vingt-cinq barques a peu pres
poussaient de terre a tout hasard chargees de volontaires, et
appareillaient. Elles allaient tenter la fortune d'un premier
debarquement: si elles reussissaient, c'etait un premier succes, un
jalon, un noyau de volontaires et d'officiers, surtout un chef donne aux
insurges de la Calabre.

En trois quarts d'heure, elles traversaient le detroit. Malheureusement,
l'obscurite et la force des courants ne leur avaient pas permis de
garder leur ordre de marche. Les unes vinrent faire tete sous les forts
memes de Scylla; d'autres s'echouerent pres de la Torre del Cavallo. Les
plus heureuses furent sous-ventees et aborderent a deux ou trois cents
metres plus loin que le fort d'Alta-Fiumare sur une belle plage de sable
ou elles purent jeter a terre leurs volontaires.

Deux cents hommes, en tout, debarquerent. Mais Missori les commande et
tous sont determines. Aussitot a terre ils s'elancent isolement dans la
montagne. Le lendemain, ils se retrouveront sur Aspri-Monte ou ils ne
tarderont pas a etre rejoints par les bandes calabraises. Presque tous
les hommes debarques sont des guides dont Missori est le colonel.

En essayant de rejoindre le Faro, plusieurs embarcations de la flottille
tomberent en travers de l'escadre napolitaine qui ne souffla mot et les
laissa porter sur Messine. L'une d'elles vint meme se jeter sur l'avant
d'un des batiments royaux qui pouvait l'aneantir d'un souffle, mais qui
resta sourd, muet et aveugle. Le lendemain 10, une nouvelle tentative
eut lieu sous les ordres du commandant de Flotte; on voulait avoir
quelques nouvelles des volontaires debarques la nuit precedente. Il
etait quatre heures et demie du matin lorsque son embarcation atteignait
la cote. Mais a peine l'avant avait-il touche le sable que l'ennemi
sortant de mille embuscades, vignes, jardins, trous, maisons, ouvre une
vive fusillade sur lui. Deux Garibaldiens tombent grievement blesses et
on est force de retrograder, non sans avoir vigoureusement riposte au
feu des royaux qui se hatent a leur tour de s'abriter en laissant
plusieurs des leurs sur le carreau. Cette petite expedition se composait
de huit Anglais et huit Francais. Dans la nuit du 10 au 11, une autre
tentative echoue encore. L'escadre napolitaine s'etait rapprochee du
Faro et pesait passivement sur les operations projetees.

Il y avait alors tantot au Faro, tantot a Messine, une signora, la
comtesse della Torre, jeune et charmante femme, a nature sympathique,
dont le costume demi-hongrois et la desinvolture gracieuse et militaire
faisaient rever bon nombre des blesses ou des malades auxquels elle
etait venue offrir le tribut de ses soins et ses consolations. On en a
dit beaucoup de bien, on en a dit du mal. Il n'y a pas de chose, quelque
bonne qu'elle soit, qui ne trouve son detracteur. Enfin, quoi qu'en
aient dit quelques journaux bien ou mal informes, elle n'en partageait
pas moins avec une Francaise, madame de ***, la direction des dames
charitables, en petit nombre, il est vrai, qui prodiguaient leurs soins
aux blesses et aux malades dans les hopitaux.

La journee du 11 se passa a embarquer l'artillerie, les chevaux et les
hommes. Les vapeurs bondes de troupes, allumaient les feux a sept heures
du soir. Les compagnies de la flottille etaient parees a sauter dans
leurs embarcations.

Vienne le signal et tout cela va se mettre en mouvement. Mais, a minuit,
arrive un ordre contraire et, dans la matinee du 12, toutes les troupes
commencaient a debarquer.

Vers une heure, dans la nuit, on avait entendu une fusillade tres-vive
et quelques coups de canon pres des forts de Scylla et de Pezzo.
L'escadre napolitaine etant restee silencieuse, c'etait donc a terre que
l'on s'etait battu. Etaient-ce les volontaires debarques ou les
Calabrais? Le feu cessait vers les deux heures un quart. Il recommencait
une heure apres et durait jusqu'au petit jour. Au meme moment, un petit
bateau, chasse par une corvette napolitaine, venait s'abriter sous les
feux du Faro, et la corvette, trompee dans sa poursuite, s'arretait a
portee de canon. C'etait un habitant de Reggio qui, a ses risques et
perils, venait annoncer que quelques centaines de Calabrais, reunis dans
les ravins d'Aspri-Monte, allaient se mettre en marche pour rejoindre
les volontaires debarques l'avant-veille et qui, en ce moment,
occupaient les hauteurs de Solano. Le debarquement des troupes et de
l'artillerie faisait supposer, naturellement a tout le monde, un
changement d'intentions de la part du general Garibaldi. Mais, il faut
l'avouer, ce fut a regret que les volontaires, entasses depuis
trente-six heures sur les vapeurs, se virent encore une fois jetes sur
les sables brulants du Faro sans savoir quand il leur serait enfin donne
de mettre le pied dans les Calabres.




VI


Trois jours apres, une fregate sarde arrivait au Faro, et restant sous
vapeur, communiquait avec le general Garibaldi. Ensuite elle venait au
mouillage dans le port de Messine. C'etait le _Victor-Emmanuel_. Le meme
soir, un petit aviso partant de Messine touchait aussi au Faro. Ces
allees et venues excitaient vivement la curiosite generale. Le
lendemain, on apprenait avec etonnement que le general Garibaldi s'etait
embarque dans la nuit sur le _Washington_, dont tout le monde ignorait
la destination; et on lisait une proclamation redigee a peu pres en ces
termes: "Le general en chef Dictateur, etant oblige de s'absenter
momentanement, laisse au general Sertori le commandement des forces de
terre et de mer." Suivait un ordre du jour de ce dernier donnant a
l'armee et a la population connaissance de ce decret et ajoutant qu'il
esperait qu'en l'absence du Dictateur, chacun s'efforcerait de continuer
a faire son devoir. C'est a cette epoque que les troubles de Bronte
eclaterent. Plusieurs assassinats et de honteuses scenes de pillage,
provoques par les montagnards, obligerent d'en venir a une repression
energique. Le general Bixio fut dirige sur ce point. Il fit saisir une
vingtaine des principaux emeutiers qui passerent immediatement devant un
conseil de guerre et furent fusilles seance tenante. Puis il vint a
Taormini rejoindre le corps de Cosenz et la brigade Ehber.

Pendant que ces evenements se passaient au Faro, la ville de Messine,
metamorphosee en grande caserne, tachait de faire contre fortune bon
coeur en rouvrant ses magasins le plus gaiement possible. Tous les
soirs, les musiques militaires circulaient dans la ville; et la strada
Ferdinanda, ainsi que le Corso, un peu plus illumines et embannieres que
dans les premiers jours, avaient presque un air d'allegresse.

Les manifestations continuaient, soit dans les eglises, soit sur des
places publiques. Les statues de Francois II et de son pere avaient
eprouve le meme sort qu'a Palerme. Une fois la nuit arrivee, il n'y
avait plus guere que des Garibaldiens dans les rues et, par-ci par-la,
quelques soldats napolitains attardes dans leurs provisions, ou quelques
officiers dans leurs visites. On organisait activement les nouvelles
recrues, et chaque jour des promenades militaires avaient lieu avec
armes et bagages. Quelques-uns des corps campes au Faro avaient recu
l'ordre de rentrer en ville.

Cependant la mesintelligence commencait a se mettre pour tout de bon
entre les lignes de factionnaires opposees sur le champ de manoeuvres de
Terranova. Presque chaque soir, on s'envoyait des gros mots et des coups
de fusil.

Mais en ville, une fois le sac a terre et le fusil mis de cote, on
continuait a vivre a peu pres en bonne intelligence.

Les echos d'alentour se rejouissaient aux sons des airs guerriers que
soufflaient a outrance les musiciens de la citadelle, pour charmer les
entr'actes des grandes manoeuvres militaires que les soldats du general
Clary executaient journellement sur la plage entre la citadelle et le
fort San-Salvador. L'artillerie attelee y manoeuvrait grand train, a
cote des bataillons de chasseurs qui devaient s'estimer heureux qu'on
leur eut conserve ce petit espace pour se degourdir les jambes et ne pas
perdre l'habitude du pas gymnastique.

Quand les parades etaient finies, les guerriers mettant bas la veste,
endossaient la blouse, et labouraient intrepidement un long chemin
couvert ou, plutot, une longue tranchee qui reliait la citadelle a
San-Salvador.

Le lazaret, qui etait reste dans les dependances de la citadelle, avait
ete converti en hopital. Mais, si la plus grande partie de cette
garnison ne demandait pas mieux que de rester tranquille et de gouter
les delices d'une prison forcee, il y en avait d'autres qui,
malheureusement, aimaient l'odeur de la poudre et le bruit du fusil, de
loin bien entendu, a en juger du moins par leur attitude journaliere
aussitot qu'une affaire un peu serieuse s'engageait.

Le 13, il y eut presque une bataille en regle vers les dix heures du
soir. Quelle en fut la cause? Naturellement il est impossible de le
savoir. Le fait est qu'une vive fusillade partit de la ligne
napolitaine, leurs vedettes se replierent sur leurs grand'gardes; les
grand'gardes sur la citadelle; toujours en tiraillant avec acharnement.
Puis, une fois a l'abri dans les chemins couverts, de nombreux cris de:
_Viva il Re!_ retentirent pendant plus d'un quart d'heure. Quant aux
Garibaldiens, comme il leur etait defendu de riposter, aussitot que
l'envie de batailler prenait aux guerriers de la citadelle, ils se
retiraient patiemment dans les ruines qui longeaient leur ligne de
factionnaires et attendaient que la grele fut passee. Ce soir-la,
cependant, l'alerte, en ville, fut des plus vives. Il y avait concert a
la Flora, dans le jardin public de la strada Ferdinanda; par consequent,
il y avait affluence et meme une assez grande quantite de dames. Les
rues etaient illuminees et les boutiques a peu pres ouvertes. De
nombreux volontaires et bourgeois flanaient dans les rues; tout cela
avait quelque apparence de gaiete, lorsque retentissent tout a coup les
premiers coups de fusil. Les volontaires dressent l'oreille, les civils
cherchent au plus vite leurs portes, les femmes se trouvent mal, mais
suivent leurs maris; les illuminations s'eteignent aux environs des
debouches de la citadelle, les boutiques se ferment a grand fracas, puis
la generale bat, les clairons sonnent l'assemblee. Un quart d'heure de
ce tohu-bohu s'etait a peine ecoule que l'on voyait de fortes colonnes
se diriger vers la place de la Cathedrale, la place de la municipalite,
les quais, et occuper tous les points par lesquels les Napolitains
pouvaient tenter d'entrer en ville. Il faut cependant avouer que, malgre
la consigne, quelques rageurs ripostaient de temps a autre et
renvoyaient aux royaux coup de feu pour coup de feu.

Une belle corvette a vapeur anglaise, achetee par le general Garibaldi,
arrivait sur rade le lendemain, et on procedait immediatement a son
armement. Une autre, plus petite, etait attendue.

Le 15, autre bataille, mais cette fois-ci, plus serieuse et en plein
jour.

On ne sait toujours pourquoi ni comment elle commenca. Une fusillade
s'engagea entre les deux lignes de vedettes. Du reste, tout etait a
l'orage ce jour-la.

Depuis le matin, on suffoquait de chaleur. Des nuages bronzes s'etaient
accumules sur les monts Pelore. L'air, charge d'electricite, rendait les
plus paisibles d'une humeur massacrante. Positivement l'atmosphere
sentait la poudre.

Cette fois-ci, les Garibaldiens plus nerveux que d'habitude, prirent en
mauvaise part les galanteries napolitaines.

Les royaux, habitues a faire ces petites guerres sans danger et peu
disposes sans doute a se laisser ereinter au nez et a la face de leur
citadelle, se replierent d'un seul bond jusqu'aux tentes de campement ou
stationnait la grand'garde, a la limite des glacis de la citadelle.

La, soutenus par cette grand'garde et par une compagnie qui sortait du
chemin couvert, ils tinrent un instant pour filer ensuite de plus belle
et rentrer dans la place et dans les chemins couverts d'ou ils
continuerent leur feu innocent sur les Garibaldiens qui, deja, avaient
cesse le leur. Comme il fallait que la comedie fut complete, le canon
vint terminer la representation par une vingtaine de coups tires on ne
sait contre quoi ni contre qui. Naturellement, tant tues que blesses, il
n'y eut personne de mort.

Mais des balles napolitaines etaient arrivees jusqu'a bord des batiments
de guerre sur rade. La chaloupe de la fregate a vapeur, le _Descartes_,
en ce moment en corvee au bout du quai, pres du champ de manoeuvres de
Terranova, avait ete obligee de s'abriter derriere un chaland charge de
charbon qu'elle remorquait, puis de l'amarrer en toute hate a quai et de
rallier son bord au milieu d'une grele de biscaiens et de balles dont
plusieurs traverserent les bordages de l'embarcation.

Il y eut des plaintes motivees, auxquelles on repondit par des excuses
et par des explications qui n'en etaient pas. L'orage qui vint a eclater
et une pluie torrentielle amenerent la fin des hostilites pour ce
jour-la.

Le heros de la bataille fut, sans contredit, un maitre Aliboron qui
vint, au milieu de la fusillade et de la mitraillade, faire une fugue
sur le champ de bataille, secouant ses oreilles et lancant des ruades
dans toutes les directions. Ce brave animal, dont les elans de gaiete
defiaient les balles et les biscaiens qui pleuvaient autour de lui,
apres avoir use sa premiere ardeur, se mit tranquillement a brouter puis
a suivre et regarder curieusement les parlementaires qui se succederent
apres l'affaire. Mais il s'obstina, malheureusement pour lui, a vouloir
bivouaquer sur le theatre de ses lauriers et, dans la nuit, il fut
victime d'une seconde fusillade qui s'engagea vers les deux heures du
matin.

Le lendemain, les Napolitains plierent leurs tentes, demolirent un grand
batiment en planches qui leur servait de magasin, firent rentrer leur
grand'garde et reculerent leur ligne de vedettes jusqu'au milieu de
Terranova, ce qui n'empecha pas la meme comedie de se renouveler
presque chaque jour avec une mise en scene analogue.

Cependant le temps passait, et a chaque nouveau soleil on se demandait:
"Mais ou est donc le Dictateur?" Mille bruits et mille versions
circulaient. Le general Garibaldi etait alle, disait-on, tout simplement
a Naples. D'autres le faisaient prendre terre a Salerne avec une armee
de volontaires piemontais. L'affaire se compliquait. On se mit alors a
ruminer les faits passes.

Presque toute la marine a vapeur est absente. Qui sait ou elle est?
Personne. On attendait de Palerme deux nouveaux bateaux a vapeur. Ou
sont-ils? Tout le monde l'ignore. Beaucoup de nouveaux corps de
volontaires avaient ete concentres a Milazzo. Que sont-ils devenus?
Parbleu! voila l'histoire: les vapeurs ont embarque les troupes sans
tambours ni musiques; ils sont partis de meme, ont attendu au large de
Salerne le navire de Garibaldi et on est debarque.--Chacun repete en
ville cette petite historiette et on unit par y croire. Deux jours se
passent. On attend toujours avec anxiete l'arrivee d'un navire
quelconque qui va, certainement, apporter des nouvelles officielles du
debarquement a Salerne et de la marche en avant de l'armee independante.
Espoir decu! Rien ne parait et tout le monde de repeter: Anne, ma soeur
Anne, ne vois-tu rien venir?

Mais voila bien une autre histoire. Un petit bateau calabrais annonce a
son de trompe a qui veut l'entendre que l'on est alle jusque dans le
porte de guerre napolitain de Castellamare, pres de Naples, attaquer un
vaisseau, le _Monarc_, en cours d'armement. Evidemment, pour qui connait
le caractere entreprenant et souvent temeraire du Dictateur, ce doit
etre lui qui a tente le coup de main. Mais on a echoue tout en tuant le
capitaine; seulement si le navire eut ete arme, on l'eut enleve. Ce qui
n'empechait pas que l'on eut ete oblige de s'en aller plus vite que l'on
n'etait venu, etc., etc.

Arrive un capitaine de navire de commerce sarde, tombant tout expres du
ciel a Messine, qui raconte comme quoi il a vu le general Garibaldi,
bien vu en personne, a la baie des Orangers, en Sardaigne.--Ce n'est
donc pas lui qui etait a Castellamare ni a Salerne? repete tout le monde
en choeur.--Mais en voici un autre qui pretend aussi l'avoir vu a
Cagliari; puis un autre encore qui assure que le general est alle tout
tranquillement a Palerme.

Un dernier jure, par la barbe de Mahomet, que toutes ces nouvelles sont
erronees et que lui seul sait la verite; lui qui arrive de l'ile de
Maddalena, lui qui a vu le Dictateur tranquillement occupe a visiter sa
maisonnette de Caprera dans l'ile du meme nom. "Quand il est debarque,
ajoute-t-il, tous les habitants l'auraient volontiers porte en triomphe
jusqu'a son ermitage. Il a eu toutes les peines du monde a eviter cet
honneur."

On ecoute, la bouche beante; mais, en revanche, on n'y comprend plus
rien. Le general, tout a la fois a Salerne, a Naples, a Caprera, a la
baie des Orangers, a Cagliari, a Palerme, c'est de la magie; les plus
forts y perdent leur latin, et on renonce, jusqu'a nouvel ordre, a
expliquer ce rebus dont l'arrivee seule du Dictateur pourra donner la
clef.

Voila, en effet, qu'un beau matin un vapeur anglais, le _Prince Noir_,
arrive a Messine. Du plus loin qu'on l'apercoit, on reconnait sur son
pont les uniformes garibaldiens. Le navire entre bientot dans le port et
vient mouiller pres du fort San-Salvador. Le general Garibaldi, le
general Tuerr, le colonel Vecchi, le colonel Bordone, etc., sont a bord.
Le Dictateur debarque aussitot, et se rend de suite a bord du _Queen of
England_, sa nouvelle corvette, puis, de la a terre ou il est recu,
comme toujours, aux acclamations de tout le monde.

Maintenant, voici les faits dans toute leur verite: le general etait
alle effectivement a la baie des Orangers, a la Maddalena, a Caprera, a
Cagliari, a Palerme, et a Milazzo.

Sur le point d'entrer serieusement en campagne et en presence des forces
accumulees par le gouvernement napolitain dans les Calabres, le
Dictateur voulait, avant de se lancer dans les hasards de la seconde
periode de cette guerre, reunir tous ses moyens d'action; or depuis
quelque temps il attendait des renforts qui n'arrivaient pas et qui,
malgre les promesses de Bertani, paraissaient vouloir rester en route;
il savait cependant que plusieurs convois avaient quitte Genes et
quelques autres points du littoral piemontais, et devaient se reunir en
Sardaigne pour operer tous ensemble leur debarquement au port de Sicile
qui leur serait indique.

De longs jours s'etaient passes, et rien n'annoncait leur arrivee. Le
Dictateur paraissait inquiet et preoccupe: il avait ete prevenu sans
doute par des depeches de Turin qu'il se tramait quelque chose comme
d'enlever ces renforts a l'armee meridionale et les envoyer operer pour
leur propre compte un debarquement sur les plages romaines. Ce projet
insense, concu par je ne sais qui, existait reellement, et c'etait juste
ce qu'il fallait pour porter a la cause italienne un coup mortel. Cette
tentative, sans avoir aucune espece de chance de reussite, perdait
certainement a tout jamais le parti que representaient le Dictateur et
son armee. En face d'evenements qui pouvaient tout compromettre,
Garibaldi se hata de gagner la baie des Orangers en Sardaigne, point de
rendez-vous des nouveaux volontaires. Que se passa-t-il? on n'en sait
rien au juste. Ce qu'il y a de positif, c'est que le general Garibaldi
les harangua et les fit rembarquer immediatement pour Cagliari d'ou ils
purent etre diriges en toute hate sur Palerme et Milazzo. Ces nouveaux
renforts s'elevaient a pres de six mille hommes: c'etaient des troupes
tout organisees, il n'y avait qu'a les aligner sur un champ de bataille.

De la baie des Orangers, le general Garibaldi se dirigea sur l'ile de la
Madeleine, dans les Bouches de Bonifacio, dont il etait peu eloigne: il
n'avait pas voulu venir aussi pres de son ermitage de Caprera sans
revoir ces lieux qui lui rappelaient tant de souvenirs d'affection et
tant de soucis, de projets et d'inquietudes. En quelques heures a peine
il arrivait avec le _Washington_ au mouillage de la Madeleine en passant
par le canal de l'Ours. C'est un des plus ravissants sites que l'on
puisse voir, malgre sa sauvagerie et son aridite.

A peine l'arrivee du Dictateur fut-elle connue que la ville entiere se
precipita au-devant de lui, on l'eut en effet volontiers porte en
triomphe jusqu'a sa petite maisonnette.

Il ne sera peut-etre pas indifferent de donner quelques details sur
l'habitation de Garibaldi. Que l'on se figure une petite maison carree,
elevee seulement d'un rez-de-chaussee avec trois fenetres sur chaque
cote, une varanda sur la facade et un petit semaphore rond sur la
terrasse, dans lequel on peut a peine se tenir debout. A gauche, en
regardant la maison, deux baraques de bois, dont l'une sert de cuisine
et que le general habitait pendant que l'on construisait, comme il le
disait, son chateau. Derriere ces deux baraques, un four. Devant la
maison, un enclos en pierres seches fermant un jardin dans lequel
poussent a grand'peine cinq ou six figuiers etiques, quelques courges et
de maigres legumes qui ont l'air tout etonne d'avoir pu percer la couche
de cailloux au travers desquels ils se sont fraye passage. Puis des
lichens, des bruyeres odorantes et quelques fleurs sauvages aux parfums
balsamiques. L'interieur de la maison se divise en trois ou quatre
pieces habitables; deux, les seules occupees, sont a peine meublees.
L'une, la salle a manger, possede une chaise; l'autre est la chambre a
coucher, sous laquelle se trouve la citerne: elle est par ce fait fort
malsaine; cependant le general n'a jamais voulu en habiter d'autre. Dans
cette derniere se trouve un lit en fer sans rideaux, une vieille table
vermoulue, deux chaises sans dossiers et une ancienne armoire. Chacun de
ces meubles est un souvenir de sa mere et de sa femme, morte a la tache
en partageant ses fatigues dans la campagne de Rome. Il y a aussi,
appendu au mur, un medaillon contenant des cheveux de cette compagne
devouee, un portrait d'elle, un autre de Vecchi, son aide de camp et son
ami, l'historien de l'Italie opprimee qui deviendra plus tard
l'historien de l'Italie affranchie, et qui, quoique fort riche, partage
depuis longtemps les fatigues du general; ses deux fils sont officiers
dans la marine piemontaise. Quant au restant des appartements, peu
nombreux, ils servent de debarras et leurs fenetres sont veuves de
presque toutes leurs vitres. On comprend, en voyant cette habitation,
qu'elle est souvent solitaire et privee de ses proprietaires.

Mais ce qu'il y a de splendide, c'est la vue dont on jouit de quelque
point que ce soit de la propriete. Dans le Nord, la ville de la
Maddalena, et les hauteurs couvertes de fortifications qui sont en
arriere, les Bouches de Bonifacio, les cotes de Corse; dans l'Est, la
mer, l'entree des Bouches, le feu de Razzoli; dans le Sud, les hautes
montagnes de la Sardaigne sur un des contre-forts desquelles apparait,
se decoupant en silhouette sur le ciel, l'ours gigantesque forme par un
eboulement de rochers et qui a donne son nom au canal qui communique du
port de la Maddalena avec la haute mer; dans l'Ouest, encore la
Sardaigne, des collines couvertes de pins et de campagnes toujours
vertes aux reflets irises. Il y a de quoi contenter l'amateur de points
de vue le plus difficile.

Garibaldi parut eprouver un grand bonheur a faire visiter son maigre
manoir a ses compagnons d'armes. Malgre lui, il montra que les
proprietaires sont les memes partout. Apres quelques heures donnees a
ses souvenirs, il repartait en donnant une vigoureuse poignee de main au
vieux patre et fermier tout a la fois qui sert de garde general a son
domaine. Une particularite curieuse et qui etonna singulierement ceux
qui n'avaient pas ete inities a la vie intime du Dictateur a Caprera fut
de voir accourir au-devant de lui, aussitot qu'il parut aux confins de
son territoire, une petite vache qui vint recevoir ses caresses avec les
demonstrations de la joie la plus vive, mais en regardant fortement de
travers et avec mefiance ceux qui accompagnaient le general; elle avait
evidemment aussi envie de leur donner des coups de corne qu'elle etait
contente de caresser son maitre. Cet animal, qu'il avait eleve lui-meme
et nomme Brunettina, obeit a sa voix comme le chien le plus soumis
obeirait a son maitre. Dans la vie d'un homme comme Garibaldi, le plus
petit detail devient interessant.

En quittant Caprera, Garibaldi se dirigea sur Cagliari pour hater le
depart de ses transports et, de la, sur Palerme, ou il ne resta que
quelques heures; il fit route ensuite sur Milazzo. Le vapeur anglais le
_Prince Noir_ en partait en ce moment pour Messine, et le general fit
demander pour lui et sa suite un passage qui lui fut accorde avec
empressement.

Quant a l'affaire du _Monarc_, il va s'en dire que Garibaldi y etait
tout a fait etranger et que ce coup de main, aussi mal concu que
maladroitement dirige, avait ete tente non-seulement sans son
consentement, mais meme contre ses ordres. Certes ceux qui se jetaient,
tete baissee, dans une entreprise aussi temeraire montraient un courage
digne d'un meilleur succes, mais dans des operations de ce genre, il
faut surtout une direction intelligente et une experience a toute
epreuve. Cette tentative avortee et qui, de part et d'autre, couta la
vie a plusieurs officiers, fut generalement mal vue et hautement
desapprouvee.

La premiere visite du Dictateur a son retour fut pour le Faro, d'ou
chaque jour et presque chaque nuit on reussissait a jeter de faibles
detachements de volontaires sur les cotes de Calabre. Les travaux de
fortification avaient ete entierement termines et presque toute
l'escadre dont pouvait disposer le general s'y trouvait alors reunie,
elle se composait de:

Le _Tukery_ (ancien _Veloce_) arme, portant 800 hommes.
Le _Washington_                       --    800   --
L'_Oregon (Belzunce)_                 --    300   --
Le _Calabria (Duc de Calabre)_        --    200   --
L'_Elba_                              --    200   --
Le _City of Aberdeen_                 --  1,200   --
Le _Torino_                           --  1,500   --
Le _Ferret_, arme                     --    200   --
L'_Anita (Queen of England)_ arme     --  1,800   --
L'_Indipendente_, arme                --  1,700   --
_Un autre_ (nom inconnu) arme         --    800   --
plus, environ 250 bateaux de flottille, dont 20 ou 30 armes de pierriers
ou de petits obusiers de 4.

C'etait donc un total d'a peu pres 10,000 hommes sans compter ceux de la
flottille, que l'on pouvait debarquer en un seul voyage sur la terre
ferme. Quant a la cavalerie et a l'artillerie, elles etaient, comme il a
ete dit plus haut, destinees a etre embarquees sur des bateaux disposes
_ad hoc_ et ou les precautions les plus grandes etaient prises pour que
le debarquement put s'operer d'une maniere prompte et facile en face de
l'ennemi.

Les Napolitains avaient, pendant l'absence du general, evacue les
citadelles d'Augusta et de Syracuse. Leurs garnisons avaient ete
rejoindre en Calabre les armees de Palerme, de Milazzo et de Messine.
Chaque soir, de la cote sicilienne on apercevait de l'autre cote du
detroit les feux allumes dans la montagne par les volontaires et les
insurges de la Calabre. On en avait, du reste, journellement quelques
nouvelles, tantot par des Calabrais, d'autres fois par des volontaires
expedies par Missori. Ils avaient eu plusieurs engagements avec les
Napolitains, et avaient eu deux hommes tues et deux blesses. Ils leur
avaient aussi fait eprouver quelques pertes et leur avaient pris
plusieurs hommes. Ils resterent douze jours dans les montagnes et
comptaient parmi eux Mario Alberto, le mari de la celebre miss White et
le colonel Massolino, commandant en second. Presque chaque nuit, dans la
ville, des deserteurs trouvaient moyen de passer aux Garibaldiens, les
generaux de l'armee royale estimaient eux-memes a plus de dix mille le
nombre des desertions depuis le commencement de la guerre.

Les deux ou trois jours qui suivirent le retour du general Garibaldi
virent arriver dans le port meme de Messine plusieurs vapeurs charges de
volontaires; en passant a cote du fort San-Salvador, il y avait souvent
echange de paroles peu amicales entre les soldats napolitains et les
casaques rouges.

Plus que jamais tout fut au debarquement, on recommenca a masser les
troupes au Faro. A quelque prix que ce fut on enrolait des matelots
partout ou l'on en trouvait.

Les deux fregates sardes mouillees dans le port ainsi que la fregate
anglaise eurent de nombreux deserteurs, au grand mecontentement de leurs
commandants.

Presque chaque jour il y avait des coups de canon echanges du Faro,
soit avec les forts de Pezzo, d'Alta-Fiumare ou de la Torre del Cavallo,
soit avec l'escadre qui paraissait vouloir prendre une part plus active
a la defense des cotes de Calabre; mais ce feu a longue portee avait un
resultat a peu pres nul; les boulets napolitains tombaient a moitie
distance et quelques-uns seulement de ceux du Faro venaient en mourant
atteindre de temps a autre leur but. Le 15 aout, il y eut aussi une vive
alerte. Le _Descartes_, fregate a vapeur francaise, ayant, a huit heures
du matin, fait une salve pour la fete de l'Empereur, on crut au Faro a
un bombardement par la citadelle. La meme panique se produisit en ville.
Aux deux ou trois premiers coups, tous les habitants se precipiterent
aux portes et aux fenetres pour etudier avec anxiete l'explosion des
projectiles. Toutes les troupes se prirent a courir aux armes.
Heureusement quelques personnes mieux avisees, apres avoir compte vingt
et un coups, jugerent que ce devait etre un salut et tranquilliserent la
foule a laquelle d'ailleurs les nouvelles arrivant du quai rendirent
immediatement sa quietude du matin. Les batiments de guerre etrangers
sur rade s'empresserent aussi, eux, de feter par des salves et en se
pavoisant la fete du souverain francais. Les Napolitains seuls, forts et
batiments de guerre, s'abstinrent de toute politesse. C'etait au moins
une inconvenance.

Dans le port de Messine on s'occupait activement de l'armement du
_Queen of England_, baptise l'_Anita_ en l'honneur de la femme de
Garibaldi, ainsi que de celui d'un autre vapeur a grande vitesse et a
aube, nouvellement achete aux Anglais. L'escadre napolitaine paraissait
inquiete et l'amiral qui la commandait avait demande des renforts
immediats a Naples, n'ayant pas, disait-il, et cela etait vrai, un seul
batiment a opposer a l'_Anita_, qui devait porter vingt-deux canons
Amstrong, mais qui, de fait, n'etait qu'un grand bateau a helice fort
casse et dont l'echantillon eut permis difficilement la moitie de cette
artillerie.

Un nombreux convoi d'armes, debarque en ce moment a Messine, ainsi que
celles apportees par Alexandre Dumas, permirent d'armer avec des
carabines de precision plusieurs bataillons de chasseurs qui jusque-la
avaient conserve le fusil de munition.

Le 18 aout, arrivaient encore plusieurs transports charges de
volontaires piemontais et toscans. Toutes ces troupes, aussitot
debarquees, etaient acheminees sur le Faro ou l'armee nationale etait
concentree. On apprenait aussi que la brigade Ehber et celle de Bixio
marchaient sur Messine et devaient etre deja a Taormini et meme plus
pres. Mais rien n'avait transpire des projets du general Garibaldi.
Toute l'escadre, moins trois ou quatre vapeurs, etait mouillee sous les
batteries du Faro. On supposait les absents en mission vers Palerme ou
Milazzo.

Le 17 au soir, le general Tuerr avait accompagne Garibaldi dans une
reconnaissance sur la route de Taormini. Le 18, tout le monde, excepte
les intimes, croyait Garibaldi au Faro, lorsque le 20, au matin, le
_Bearn_, paquebot des messageries imperiales, arrive du Levant eu
relache a Messine et annonce qu'il a apercu en entrant dans le detroit,
a quelques milles dans le Sud de Reggio, deux navires dont l'un est a la
cote, et qui viennent de debarquer une grande quantite de soldats
paraissant Garibaldiens. Il ajoutait qu'au moment de son passage,
l'escadre napolitaine s'approchait du lieu du debarquement et que deux
corvettes avaient immediatement ouvert leur feu contre les troupes
debarquees et sur le batiment echoue. Le point qu'il designait pour
theatre de cet evenement etait la Torre delle Armi, au-dessous du
village de Mileto.

Grande rumeur des lors, et bientot le debarquement officiel de l'armee
nationale est annonce par une proclamation. Le soir, la ville est
brillamment illuminee et l'on attend avec une vive impatience les
details qui ne manqueront pas d'arriver le lendemain.

Voici ce qui s'etait passe.

Depuis quelques jours, les brigades Bixio et Ehber ne faisaient que
marches et contre-marches. Ces brigades avaient accapare plusieurs
grands bateaux sur lesquels avaient meme eu lieu quelques preparatifs
d'embarquement. Des le 17, la brigade de Bixio etait a Giardini, et
celle de Tuerr a Taormini.

Le 17, dans l'apres-midi, deux bateaux a vapeur, le _Franklin_ et le
_Torino_, viennent mouiller a Taormini. Le _Franklin_, plus pres de
terre et le _Torino_ plus au large. L'embarquement de la brigade du
general Tuerr commenca immediatement. A cinq heures environ, l'operation
etait terminee et les deux vapeurs faisaient route de conserve pour
Giardini.

Le 18, au matin, on commencait l'embarquement de la brigade Bixio. Vers
une heure, le general Garibaldi arrivait et pressait activement le
depart. A huit heures du soir, il etait termine. Les deux capitaines des
batiments avaient du etre provisoirement releves de leurs commandements.
Garibaldi prit celui du _Franklin_, et Bixio celui du _Torino_. On
appareilla vers les onze heures du soir. Le 19, au petit jour, on etait
sur la cote de Calabre a la Torre delle Armi, pres de Mileto, village
situe au sommet d'un mamelon.

Une magnifique plage de sable, ou la mer brise a peine, s'etend au loin
avec complaisance, offrant toutes facilites au debarquement. Sur la
droite, a l'extremite de la plage, on distingue une eglise et un peu en
arriere, a moitie cote, le telegraphe. Les deux navires ont le cap a
terre. Vis-a-vis d'eux, on apercoit la route royale qui longe la cote et
une belle magnanerie dont les plantations vont en s'elevant par etages.
L'habitation est au sommet du premier plateau derriere lequel s'elevent
en amphitheatre une foule de points culminants etages les uns au-dessus
des autres.

De Napolitains, pas de traces. Seulement on distingue, a douze milles
environ dans le Nord, les fumees de leur escadre. Le _Torino_ marche
toujours a grande vitesse et s'echoue; mais le fond est de vase molle
et le navire reste horizontal. Le _Franklin_ arrive presque aussitot; il
stoppe a temps et evite le sort du _Torino_. Immediatement le
debarquement commence sans autre ressource que les embarcations des deux
navires. Cependant il s'opera avec une telle activite, chacun y apporta
tant de bonne volonte que, trois heures apres, tous les volontaires se
trouvaient a terre et les deux brigades etaient organisees et mises en
mouvement.

A l'instant ou elles venaient de prendre position sur les premieres
hauteurs en arriere de la plage, tandis que le quartier general
s'etablissait dans l'habitation de la magnanerie, on vint prevenir le
Dictateur que l'escadre napolitaine se dirigeait a toute vapeur vers le
lieu du debarquement. Ordre fut donne de suite au _Franklin_, qui
essayait de renflouer le _Torino_ de l'abandonner et d'appareiller a
l'instant pour Messine en faisant fausse route. Quant a l'equipage du
_Torino_, il recut l'ordre d'evacuer le navire. Dans ce moment, une
corvette napolitaine, arrivee a portee, commencait a tirer. On voulut
mettre le feu au batiment; mais ce fut en vain. Les matelots, qui, a ce
qu'il parait, n'etaient pas payes pour se faire tuer, refuserent
obstinement d'armer une embarcation pour retourner a bord. La seconde
corvette, aussitot a portee, ouvrit egalement son feu, non-seulement sur
le _Torino_, mais encore et surtout sur les colonnes de Garibaldiens
qu'elle apercevait a terre. L'ordre fut alors donne aux troupes de
descendre dans le ravin derriere les hauteurs sur lesquelles elles
etaient campees. Comme on n'avait pas d'artillerie pour repondre au feu
de l'escadre, il n'y avait pas d'autre parti a prendre.

Pendant plus d'une heure, les corvettes continuerent leur canonnade.
C'est en ce moment que passa le _Bearn_.

Une autre corvette napolitaine, restee en arriere, se detacha
immediatement pour lui courir sus. Mais, quand elle eut reconnu, en
s'approchant, l'enormite de ce transatlantique et surtout le pavillon
francais, elle se hata de rejoindre ses conserves.

Bientot, les corvettes napolitaines arment des embarcations et les
envoient a bord du _Torino_. Des amarres sont etablies et les corvettes
essayent aussi, mais en vain, de le desensabler. Ne pouvant y reussir,
pas plus que le _Franklin_, elles finissent par le piller et y mettre le
feu.

L'armee passa cette premiere nuit dans un _fiumare_, a un mille et demi
environ du lieu du debarquement. Quelques volontaires calabrais,
accourus incontinent, assurerent au general Garibaldi qu'il n'y avait,
dans les environs, aucune troupe royale. Cependant, on s'eclaira avec
soin et on fit bonne garde.

Les deux brigades trouverent peu de ressources en approvisionnements. Le
20, a deux heures du matin, on se mettait en route, marchant en colonnes
et par sections. La division d'avant-garde se composait du
demi-bataillon de droite des chasseurs genois commandes par Menotti;
puis venait la premiere brigade commandee par Bixio, a la tete de
laquelle marchait Garibaldi, la brigade Ehber et enfin le deuxieme
bataillon de chasseurs genois qui servait d'arriere-garde. Le
demi-bataillon de gauche de Menotti etait deploye en eclaireurs sur le
flanc droit de la colonne. Quoiqu'il fit une chaleur atroce, on marchait
gaiement et en chantant comme s'il s'agissait simplement d'un changement
de garnison. De toutes parts les habitants accouraient, saluant la
colonne de mille vivat. On marcha ainsi jusqu'a sept heures du matin, et
on prit un moment de repos dans un endroit ou la route se dissimule
entre deux collines. A onze heures et demie, on arrivait au petit
village de San-Lazaro ou l'on s'arreta pour se reposer jusqu'a la nuit
tombante. Des grand'gardes avaient ete placees assez loin en avant du
village, et les volontaires avaient recu l'ordre de ne pas s'eloigner un
instant de leurs faisceaux. A sept heures du soir, la petite armee
quittait San-Lazaro, se dirigeant directement sur Reggio. A minuit, on
faisait halte, et le general Garibaldi, ayant reuni les generaux et les
officiers superieurs, prenait ses dispositions d'attaque. Il fut decide
qu'on changerait de route, et qu'on prendrait a travers champs vers la
montagne. A trois heures du matin, on descendit sur les faubourgs de
Reggio, et a trois heures et demie, la fusillade s'engageait avec
quelques compagnies napolitaines postees sur la route, qui furent
rapidement mises en deroute par deux bataillons garibaldiens et faites
presque entierement prisonnieres. Le bataillon de chasseurs genois de
Menotti se precipita au pas de course dans les rues du faubourg, appuye
par la premiere brigade. En un instant, le bataillon napolitain qui
l'occupe, quoique embusque dans les maisons, les vignes et les jardins,
est refoule vers la ville ou il se hate de se refugier. Les Garibaldiens
y entrent pele-mele avec lui. Vers midi, le fort de la Marine, situe au
bord de la mer et arme de seize pieces de canon de gros calibre, ouvrait
ses portes, baissait son pont-levis et se rendait avec armes et bagages
sans bruler une amorce.

Ce fort n'etait, a proprement parler, qu'une batterie dirigee contre la
mer, mais fermee a la gorge par une muraille bien crenelee, percee de
plusieurs embrasures armees d'obusiers et de pieces de 12. Le general
Garibaldi s'y reposa quelques instants, puis, se mettant a la tete de la
deuxieme brigade, il fit un mouvement de flanc pour tourner les hauteurs
du chateau. Le general Bixio venait d'etre blesse legerement au bras
gauche, il avait eu son cheval tue sous lui et son revolver casse a sa
ceinture par une balle.

Pendant que le general Garibaldi operait son mouvement tournant, la
premiere brigade se ralliait au fort de la Marine pour commencer
l'attaque de la ville.

Le chateau de Reggio, situe au sommet du mamelon sur lequel la ville
s'eleve en amphitheatre, envoyait des volees de canon dans toutes les
directions et partout ou il pensait pouvoir atteindre les assaillants.
La place fut bientot attaquee par trois points a la fois: la grande rue,
les hauteurs en arriere du chateau et les quais. C'est surtout dans la
grande rue que le combat fut le plus vif. Masses sur la place du Dome,
appuyes par une batterie d'artillerie et ayant sur leur droite une
petite rue fortement barricadee et conduisant au chateau, les
Napolitains, en bataille sur la place, embusques sur le perron de la
cathedrale et aux fenetres, s'appretaient a faire une vigoureuse
resistance. Ils avaient une grande confiance dans leur position, pensant
qu'ils ne pouvaient etre attaques que de front et avec un grand
desavantage.

Le combat se prolongea effectivement sur ce point jusque vers le soir;
mais enfin, vigoureusement abordees a la baionnette, les troupes royales
durent battre en retraite et en desordre sur le chateau, abandonnant six
des huit pieces qui etaient en batterie sur la place.

Vers les dix heures du soir, le bataillon de Menotti attaquait de front
une forte barricade barrant le passage qui conduit de la grande rue au
chateau, a deux cents metres tout au plus de celui-ci et sous un feu
plongeant des plus dangereux. Le combat fut long; mais, intrepidement
entraines par Menotti, les chasseurs genois finissent par se precipiter
a la baionnette sur la barricade dont ils s'emparent vers les trois
heures du matin, et dans laquelle ils s'etablissent pendant que les
royaux se replient pas a pas vers le chateau sans ralentir leur feu. La
ville etait donc au pouvoir de l'armee nationale. Le reste de la nuit,
les canonniers du chateau continuerent a envoyer, de ci de la, quelques
paquets de mitraille et quelques boulets, mais sans resultat.

Le matin, de bonne heure, l'armee nationale, decidee a en finir,
commenca ses dispositions d'attaque contre le chateau. Il n'en fallut
pas davantage pour determiner le general Vial a proposer l'evacuation.
Cette offre fut acceptee immediatement. C'etait le 21, au matin, que se
passaient ces evenements.

La capitulation fut bientot convenue et signee. La garnison remettait le
chateau et tout son materiel: artillerie, armes, approvisionnements et
munitions, au general Garibaldi. Les troupes royales, avec armes et
bagages, mais sans munitions, devaient descendre sur le quai qui leur
etait reserve jusqu'a leur depart. Aussitot convenu aussitot fait, et
immediatement les Napolitains gagnerent l'emplacement ou ils devaient
attendre leur embarquement, pendant que l'armee nationale, pressee de
marcher en avant, commencait son mouvement sur San-Giovanni ou,
disait-on, deux divisions l'attendaient dans des positions formidables
et fortifiees de longue date.




VII


Pendant que Garibaldi attaquait Reggio, le canon grondait partout dans
le detroit; les batteries du Faro echangeaient des boulets avec un ou
deux navires de l'escadre napolitaine, ainsi qu'avec les forts de Pezzo,
de la Torre del Cavallo et d'Alta-Fiumare, a propos d'un debarquement
qui avait lieu pres de la Bagnara.

Dans la matinee du 21, de tres-bonne heure, le general Cosenz etait
descendu en Calabre, pres de Scylla, avec une brigade composee de douze
cents hommes environ, un bataillon de chasseurs genois et le bataillon
francais commande par de Flotte.

C'est a l'entree d'un grand _fiumare_, pres d'un petit village, entre
Scylla et la Bagnara, que les troupes furent mises a terre. Le bataillon
francais, debarque un des premiers, repoussa les quelques troupes
napolitaines expediees de la Bagnara, et bientot toute la colonne prit
la route de Solano, village situe dans la montagne, a cinq heures de
marche environ du lieu de debarquement. Elle fut aussitot assaillie de
toutes parts par les royaux, qui occupaient les hauteurs et s'etaient
retranches dans une petite maison blanche ou l'on avait etabli un
avant-poste. Le bataillon francais fut envoye par le general Cosenz pour
en debusquer les Napolitains et s'emparer de la hauteur. Ce coup de
main, hardiment execute, eut un plein succes. Malheureusement le
commandant de Flotte fut tue roide d'une balle dans la tete a l'instant
ou, apres avoir blesse deux officiers napolitains, il en faisait
prisonnier un troisieme.

Les soldats vengerent terriblement leur chef, auquel le general
Garibaldi fit rendre le surlendemain les honneurs militaires dans
l'eglise de Solano. C'est sous une des dalles du choeur que les restes
de de Flotte sont deposes et, par ordre du Dictateur, on doit y elever
un monument.

Le bataillon francais et son commandant furent mis a l'ordre de l'armee,
et le capitaine Pogam en prit provisoirement le commandement.

La brigade de Cosenz, aussitot les Napolitains repousses, continua son
mouvement en laissant Solano sur la gauche, et gagna les hauteurs pour
arriver au-dessus de San-Giovanni, tournant ainsi completement les
positions napolitaines qui ne devaient pas tarder a etre attaquees de
front par le general Garibaldi.

Le 22 au matin, pendant que ce mouvement s'executait, un singulier
evenement se passait au Faro. Une grande fregate napolitaine a helice,
de soixante canons, entrait dans le detroit et venait reconnaitre, a
petite distance, les batteries du Faro avec lesquelles elle engageait
une violente canonnade qui dura plus d'une demi-heure. Quelques instants
apres, un vapeur a helice francais, rangeant les cotes de Calabre, se
presentait aussi a l'entree du detroit et etait recu a coups de canon
par le Faro. Ce ne fut qu'au dix-huitieme coup que les canonniers
reconnurent leur erreur et cesserent le feu. Le lendemain 23, au matin,
le _Prony_ arrivait sur rade de Messine, et une demande de satisfaction
etait envoyee au commandant en chef de Messine. A midi, le _Descartes_
appareillait avec le _Prony_ pour aller mouiller sous le Faro et etre
pret a agir si pareil evenement se renouvelait.

Mais le general Tuerr, commandant le Faro, s'etait hate de repondre a la
reclamation de notre consul a Messine, M. Boulard, et de lui transmettre
ses profonds regrets pour l'erreur qui avait eu lieu bien
involontairement. Au milieu du feu et sans longue vue, on n'avait pu
distinguer le pavillon francais, car celui des Napolitains, meme a
petite distance, permet a peine d'apercevoir les armoiries jaunes
frappees sur le blanc du pavillon; en outre, les canonniers etaient sous
l'influence de l'indignation causee par la conduite sans precedent de la
fregate napolitaine, le _Borbone_, qui, arrivee dans le detroit sous
pavillon francais, avait tranquillement reconnu les batteries, pris une
position avantageuse pour les attaquer, et commence un feu meurtrier sur
des hommes occupes sans defiance a la regarder. Ce n'est qu'a la
deuxieme bordee que le pavillon francais avait ete amene et remplace par
la banniere napolitaine. Sans prendre positivement ce fait pour excuse,
le general offrait la plus ample satisfaction au commandant francais,
tout en fletrissant la conduite du batiment de guerre napolitain qui
n'avait pas craint, en enfreignant toutes les lois maritimes
internationales, d'etre la cause de l'exasperation des Garibaldiens; ce
qui les avait entraines, dans leur exaltation, a tirer trop legerement
sur un navire dont ils ne distinguaient pas au juste la nationalite.

Nonobstant, les commandants des trois batiments de guerre francais sur
la rade de Messine, la fregate a vapeur le _Descartes_, et les avisos le
_Prony_ et la _Mouette_, avaient decide que pendant que la _Mouette_ se
rendrait a Naples pour prevenir l'amiral de ces faits, le _Descartes_ et
le _Prony_ iraient mouiller en branle-bas de combat pres du Faro, de
maniere a etre a meme de repousser par la force une nouvelle agression
de ce genre.

En consequence, a midi, les deux navires s'etaient diriges sur le Faro,
au grand emoi de la population de Messine qui n'avait pas vu sans
inquietude les preparatifs de branle-bas executes a bord des batiments
francais. Il paraitrait qu'une reponse peu convenable d'un autre
officier general de l'armee garibaldienne, etait venue detruire le bon
effet produit par la lettre si convenable et si digne du general Tuerr,
et avait rendu necessaire cette demonstration de la part des commandants
francais. A deux heures environ, les deux navires jetaient l'ancre un
peu en dedans de l'entree du detroit, et dans une position ou leurs
batteries prenaient en enfilade toutes celles du Faro.

Ceci se passait le 23. Vers les six heures du matin, la fregate le
_Borbone_ se rapprochait du Faro et recommencait l'attaque des
batteries. Pendant pres de trois quarts d'heure, le feu fut tres-anime
des deux cotes; mais enfin la fregate se laissa culer et vint mouiller
pres de la citadelle ou elle debarqua en toute hate ses blesses.

C'est pendant cette operation que les deux batiments de guerre francais
quittaient eux-memes le port pour aller prendre leur position au Faro.
Aussitot qu'ils eurent jete l'ancre, on vit que le _Borbone_ se
dirigeait dans le Sud, tenant le milieu du detroit, accompagne des
quatre vapeurs royaux qui composaient en ce moment toute l'escadre.
Quelques instants, elle resta stationnaire vis-a-vis Reggio, puis on la
vit border ses voiles et laisser porter vent arriere dans le Sud, pour
debouquer du detroit ou on ne la revit pas, non plus que les batiments
de guerre napolitains qui marchaient de conserve avec elle. Il etait
environ cinq heures du soir, au moment ou, de l'autre cote du detroit,
on apercevait le pavillon national arbore sur le fort de Pezzo.

Il ne restait qu'un petit vapeur de transport a San-Giovanni, ainsi que
deux ou trois autres a Reggio, mais sous pavillon parlementaire:
c'etaient ceux qui operaient l'evacuation des troupes. A partir de ce
moment, la libre circulation du detroit etait donc abandonnee a
l'escadre de Garibaldi sans que l'on put expliquer ni comprendre une
semblable determination de la part de l'officier general qui commandait
les forces de mer du roi des Deux-Siciles. Car il est evident qu'il
aurait pu encore faire beaucoup de mal aux troupes nationales et appuyer
de son feu, non-seulement les forts de Pezzo, Alta-Fiumare, Torre del
Cavallo et Scylla, mais encore proteger les divisions de San-Giovanni,
balayer la route royale qui suit le bord de la mer et rendre la marche
des troupes nationales difficile et longue en les obligeant a prendre
par la montagne.

Deux seules raisons peuvent, expliquer ce fait inoui: la premiere, la
mauvaise volonte; la deuxieme, c'est que la fregate le _Borbone_, qui
devait se sentir mal a son aise depuis son premier engagement avec le
Faro ou elle avait abuse du pavillon francais, put regarder comme un
acte agressif contre elle-meme l'appareillage des batiments francais.
Ceux-ci en effet, etant venus mouiller tres-pres des batteries,
pouvaient lui donner a supposer qu'ils etaient peu disposes a souffrir
une nouvelle attaque et prets meme a lui demander satisfaction. Dans ce
cas, ce qu'elle avait de mieux a faire etait evidemment de filer le plus
rapidement possible, et c'est ce qu'elle fit.

Le meme matin, deux heures environ avant l'affaire du _Borbone_ et des
batteries du Faro, un combat d'avant-garde s'engageait sur la terre de
Calabre, au-dessous des hauteurs de San-Giovanni, entre les avant-postes
napolitains et les avant-gardes du general Garibaldi.

Cette petite action eut lieu au milieu de champs de vigne et d'oliviers;
malgre les avantages de leur position, les royaux durent, apres une
fusillade assez vive, et quoiqu'ils fussent soutenus par plusieurs
obusiers qui envoyaient, dans la direction des tirailleurs ennemis,
force obus et mitraille, se replier sur leurs positions de San-Giovanni.
Le feu cessait vers les neuf heures du matin.

A partir de la meme heure, l'armee nationale, au fur et a mesure que les
troupes arrivaient, etait dirigee par Garibaldi de maniere a prolonger,
par la droite, la gauche de l'armee napolitaine en contournant, par des
sommets plus eleves, les positions militaires occupees par les deux
divisions des generaux Melendez et Briganti.

Ces divisions comptaient environ dix mille hommes avec artillerie et
cavalerie. Depuis longtemps deja, cette armee etait campee au meme
endroit et y avait accumule de grands moyens de resistance. Elle
occupait le sommet de deux plateaux, appuyant sa droite a un telegraphe
et ayant son front defendu par un profond ravin. De plus, elle tenait sa
communication avec le fort de Pezzo.

Pendant que les deux brigades commandees par le Dictateur executaient
leur mouvement, les troupes de Cosenz qui, apres l'affaire de Solano,
avaient rapidement continue leur marche, commencaient a montrer leurs
eclaireurs sur les sommets des plateaux en arriere de l'armee
napolitaine. On apercut bientot leurs tetes de colonnes; puis, on vit
ces troupes operer le mouvement contraire a celui du general Garibaldi,
c'est-a-dire s'etendre sur sa droite en prolongeant les derrieres de
l'armee napolitaine de maniere a la cerner tout a fait et a lui couper
la retraite sur les forts de Pezzo et de Scylla.

Apres des efforts inouis, les artilleurs de l'armee de Garibaldi etaient
venus a bout de hisser sur la montagne, a force de bras et par des
chemins epouvantables, quatre pieces d'artillerie. Pendant que ces
diverses manoeuvres avaient lieu, les royaux demeuraient dans leur camp
sans faire un seul mouvement ni defensif ni offensif. Leurs pieces en
batterie restaient silencieuses, meme en voyant les chasseurs de
Menotti venir en eclaireurs jusqu'a deux cents metres de leur camp. A
trois heures de l'apres-midi, le tour etait fait et les Napolitains
completement isoles et coupes de leur base d'operation et de retraite.

Insensiblement les lignes de l'armee independante se resserrerent. Il
n'y avait plus a hesiter pour l'armee royale. Apres s'etre laisse
tranquillement entourer, il fallait prendre un parti, mettre bas les
armes ou se frayer une route sanglante au milieu des casaques rouges et
racheter ainsi, par un trait de courage, l'ineptie ou la trahison des
generaux.

Malheureusement pour elles, la comme presque partout, les troupes
royales n'eurent que le courage de leur opinion, et leur profonde
horreur pour la bataille leur fit prendre le parti, certes le moins
dangereux, de decamper au plus vite et dans toutes les directions,
abandonnant armes et bagages, effets et drapeaux.

Ce fut une debandade inouie, une fuite insensee que rien ne pouvait
arreter.

Toute cette cohue, en pantalons de toile bleue et en vestes, se prit a
courir a la fois au grand galop, et a travers champs, qui vers la plage,
qui vers la route de Scylla; ceux-ci, prenant une autre direction, se
precipitaient comme des grenouilles les uns par dessus les autres dans
un _fiumare_ au fond duquel ils arrivaient en pelote compacte et ou,
pendant qu'ils se cherchaient eux-memes dans ce pele-mele de bras et de
jambes, ils etaient enterres sous des camarades qui leur tombaient sur
la tete; ceux-la, apres avoir pris par une traverse et voyant devant eux
et sur leur flanc des casaques rouges, se mettaient a tourner comme des
lievres au milieu de ce labyrinthe de baionnettes bien inoffensives
cependant, car ceux qui les portaient avaient pitie de ces malheureux
fuyards qui semblaient avoir perdu la raison.

Bientot la panique gagna le fort de Pezzo.

En voyant leurs camarades de San-Giovanni galoper a en perdre haleine
sur la plage, les factionnaires commencerent par deposer a terre sacs,
fusils, sabres, gibernes, etc., puis, s'accrochant par les mains a la
magistrale du rempart, ils se laisserent glisser dans les fosses d'ou,
gravissant cahin-caha l'escarpe, ils se haterent de se joindre aux ebats
fugitifs des heros de San-Giovanni.

Quant a ceux qui etaient dans le fort, les plus presses firent le saut
par les embrasures. Ceux de garde a la porte trouverent plus court de
l'ouvrir et de detaler par ce chemin, en sorte qu'en quelques minutes il
n'y resta plus qu'un Garibaldien stupefait qui, arrive la par hasard, ne
trouva rien de plus simple que de se nommer gouverneur provisoire et, en
cette qualite, de se donner l'ordre de rester en faction a la porte du
fort, ordre qu'il executa gravement en attendant que quelques autres
compagnons vinssent lui permettre d'y placer une garnison. Il va sans
dire que quelques paysans ou habitants des environs regardaient cette
triste comedie, les mains dans leurs poches et paraissant aussi peu
soucieux du desastre des royaux que du succes de l'armee nationale.
C'est penible a dire, mais ce fut ainsi.

En somme, le 23, a cinq heures, les deux rives du detroit appartenaient
a l'insurrection, sauf Alta-Fiumare, la Torre del Cavallo et Scylla.
L'escadre napolitaine avait disparu et toutes les troupes du Faro,
embarquees a la hate, traversaient en Calabre sous la protection du
_Veloce_ qui, a partir de ce moment, remplacait, pour le compte du
Dictateur, la croisiere napolitaine evanouie dans le lointain vers le
Sud.

Il y eut, dans cette inexplicable affaire de San-Giovanni, appelee aussi
affaire du camp de Piala, une manoeuvre parfaitement entendue et encore
mieux executee par les soldats de l'armee nationale, peu experimentes
cependant.

C'est a peine si le chiffre reuni des deux corps de Garibaldi et de
Cosenz s'elevait a quatre mille hommes. Ils attaquaient, sans
sourciller, un ennemi fort de plus du double et dans de superbes
positions. A quoi donc, la comme dans la marine, attribuer un semblable
sauve-qui-peut? Ce qu'il y eut de facheux encore pour l'armee royale,
c'est que, parmi les troupes de Piala, se retrouvaient bon nombre des
officiers de Milazzo qui ne devaient cependant plus servir pendant la
guerre. La seule victime de cette affaire fut un pauvre soldat qui,
arborant le pavillon parlementaire sur une petite maison blanche
vis-a-vis les tirailleurs napolitains, fut tue d'un coup de fusil, ce
qui faillit singulierement embrouiller les choses.

En fait, y eut-il capitulation, oui ou non? Il parait que oui, puisqu'il
y a eu pavillon parlementaire, et puisqu'a la suite de cette
capitulation le general Garibaldi laissa ces inoffensifs guerriers se
retirer tranquillement par toutes les routes possibles, avec leurs
effets personnels mais sans armes ni sacs. Seulement ce qu'il y a de
plus positif encore, c'est, que les plus desireux de s'en aller, ceux
qui savaient par experience qu'un coup de feu maladroit entraine une
affaire, meme contre la volonte des deux partis opposes, commencerent
bien certainement la deroute avant que les articles de la capitulation
ne fussent ni clos ni signes.

Vers les six heures du soir la plage etait couverte de fuyards
napolitains qui y bivouaquerent. Quant a la route royale, c'etait une
longue procession du meme genre gagnant en toute hate la petite ville de
Scylla.

Le lendemain matin 24, de bonne heure, et a l'instant ou les
avant-gardes de l'armee nationale arrivaient a la hauteur des forts
d'Alta-Fiumare et de la Torre del Cavallo, ceux-ci arboraient pavillon
blanc et demandaient a se rendre aux memes conditions que l'armee de
San-Giovanni, ce qui leur fut octroye sans la moindre difficulte.

Le soir, l'armee de Cosenz, celle de Garibaldi, et toutes les troupes du
Faro qui ne cessaient de passer d'un bord du detroit a l'autre,
campaient autour de Scylla, et la Bagnara, qui est a onze kilometres
plus loin et sur le bord de la mer, etait occupee par une avant-garde.

Ce meme soir, on put assister a un spectacle splendide. Les deux rives
du detroit, completement illuminees sur toute leur etendue, offraient le
tableau le plus magique qu'il soit possible d'imaginer. Il faut avoir vu
une semblable feerie pour s'en rendre compte, car il n'est pas possible
de la depeindre.

Le lendemain matin 25, toutes les troupes ayant effectue leur passage,
le general Garibaldi organisait une seconde armee sous la denomination
d'armee meridionale.

Elle devait se composer des nouveaux volontaires ainsi que des soldats
et officiers de l'armee napolitaine qui venaient en assez grand nombre
offrir leurs services.

Quant a la premiere armee, celle des volontaires de Marsala, Palerme,
Milazzo, etc., elle devait conserver le titre d'armee nationale.

Le meme jour, et pendant que les armees de l'independance marchaient sur
la Bagnara, un vaisseau francais, l'_Imperial_, arrivait a Messine pour
remplacer le _Descartes_ rappele en France. Quant au _Prony_, il restait
en station au Faro.




VIII


De Scylla, l'armee nationale devait marcher sur Monteleone, en suivant
la route royale et en passant par Palmi, Gioja, Nicotera, Mileto et
Monteleone. Les environs de celle derniere ville avaient paru favorables
aux generaux napolitains pour tenter un dernier effort contre l'armee de
Garibaldi.

De la Bagnara a Palmi, la route suivie par l'armee, quoique assez
penible, se fit grand train et sans alerte; presque a chaque pas, on
rencontrait des soldats napolitains, sans armes ni bagages, regagnant
leurs foyers, insoucieux de l'armee a laquelle ils avaient pu
appartenir. Des bandes de Calabrais plus ou moins nombreuses se
joignaient aux volontaires dans chaque localite. Le 26 aout les troupes
independantes occupaient Nicotera et toute la ligne jusqu'a Rosarno,
ayant une partie de leurs brigades en route de Rosarno, sur Mileto. Le
soir on etait a Mileto, chassant devant soi quelques compagnies de
troupes royales qui n'attendaient comme toujours que l'occasion de plier
bagages devant l'ennemi.

On avait appris la veille l'assassinat du general Briganti par ses
propres soldats a Mileto; on y trouva la confirmation de cette nouvelle
et les details de ce meurtre.

Le general Briganti s'etait enfui de Reggio a la tete de sa brigade pour
ne pas capituler avec Garibaldi. Apres l'affaire de San-Giovanni, ce
general, qui occupait les forts de Pezzo, d'Alta-Fiumare, etc., les
avait rendus a l'armee liberatrice, et le Dictateur lui avait laisse son
cheval et ses armes, ainsi que deux lanciers pour lui servir d'escorte.

Cet officier superieur partit de suite a franc etrier pour rejoindre a
Monteleone l'armee du general Vial. Le 25, il fut arrete a Mileto par
une brigade napolitaine composee du 4e et du 16e de ligne. Des officiers
l'entourent, l'injuriant et l'accusant de les avoir trahis et vendus a
l'ennemi pour une somme de cinq millions. Le general irrite d'abord,
puis reconnaissant que sa vie est en danger au milieu de ces forcenes,
chercha par des paroles de persuasion a les faire revenir de l'erreur
dans laquelle la passion les entrainait, mais ce fut en vain; a ce meme
moment arriva un autre officier, un de ces porteurs de nouvelles qu'on
voit rarement sur un champ de bataille, mais qui, dans les cafes et les
lieux publics, sont toujours ceux qui crient le plus haut et paraissent
vouloir manger tout le monde. Quarante mille Autrichiens, affirme-t-il,
sont debarques au Pizzo. Le roi Francois II est a leur tete, ils
marchent deja pour prendre de flanc l'armee liberale et l'arreter court
dans son mouvement en avant sur Monteleone, Le general reste a cheval
cherche alors a ramener a lui les soldats. Il avait a peine commence a
leur parler qu'un sergent, le couchant en joue, lui ordonna de crier
vive le Roi. Le general leva son kepi, et, l'elevant au-dessus de sa
tete, cria vive le Roi, en disant qu'il n'avait pas besoin d'etre
contraint a cela et que c'etait l'expression de son ame. Un coup de feu
qui traversa la poitrine de son cheval le fit au meme moment rouler dans
la poussiere.

Le malheureux se releva tout meurtri et couvert du sang de sa monture;
il fit appel aux sentiments d'honneur militaire des soldats, mais une
decharge de plus de quarante coups de fusil retendit roide mort. Il
tomba la face contre terre et le bras droit etendu sur ses assassins
comme si, a l'instant ou la mort le frappait, il leur eut jete une
malediction supreme, et voulu les stigmatiser de honte et d'infamie.

Ce pauvre general croyait encore sans doute a l'honneur de cette armee
qui, pour se servir de l'expression vehemente d'un officier francais
spectateur de toutes ces turpitudes, devrait etre marquee au bas des
reins du stigmate de la lachete. Les deux lanciers qui servaient
d'escorte au general avaient juge prudent de tourner bride aussitot
qu'ils avaient vu le guet-apens dans lequel etait tombe leur chef. Quant
aux officiers qui avaient provoque ce triste evenement, ils etaient
restes spectateurs du crime sans chercher a l'empecher.

Aussitot que le general Vial eut connaissance de cet assassinat, il
partit pour Naples donner sa demission accompagnee de celles de deux
autres generaux de brigade. Quant aux quatre ou cinq mille royaux en
position a Monteleone, ils allaient traditionnellement se mettre a
piller et saccager la ville, lorsque, heureusement, dans la nuit du 26
au 27, le general Sertori arriva avec son etat-major et une escorte de
guides. Il n'en fallut pas davantage pour faire detaler a force de
jambes ces ignobles pillards qui, se debandant dans toutes les
directions, regagnaient leurs foyers ou les bandes de chenapans qui
commencaient a se montrer dans les montagnes et a faire le metier de
detrousseurs de grand chemin.

Le 27, Garibaldi arrivait lui-meme a Monteleone, les troupes royales
envoyees pour soutenir celles de cette ville et qui se dirigeaient sur
Cosenza durent, en apprenant l'occupation, s'arreter et attendre de
nouveaux ordres. A Monteleone, l'armee nationale se mit en rapport
direct avec les insurges de la Basilicate et des terres de Bari.
L'insurrection precedait partout l'armee liberale. Le 26, le general
Scott expediait de Salerne une forte colonne dans la direction d'Avelino
ou l'on avait arbore le drapeau national. Potenza suivit immediatement
le mouvement d'Avelino, les troupes royales en furent chassees par la
garde nationale, et une nouvelle municipalite y fut etablie le 28. Les
Garibaldiens marchaient sur Cosenza le 29, et poussaient leurs
avant-gardes jusqu'a cette ville. Le general Caldarchi, qui y commandait
la brigade napolitaine, se hata de parlementer et de quitter la place
avec armes et bagages, a condition de ne plus servir pendant la guerre
contre les troupes de Garibaldi, de maintenir la plus grande discipline
sur la route que suivrait sa brigade en se retirant et de laisser
regagner leurs foyers, ou l'armee liberale, a ceux qui en temoigneraient
le desir; de plus il devait laisser en ville le materiel et les armes en
magasin, il devait encore se retirer sur Salerne, et son itineraire
etant fixe d'avance, il s'engageait a le suivre sans y faire aucun
changement.

Le 30, les campagnes au Nord et a l'Est de Potenza envoyaient a l'armee
nationale un renfort de pres de deux mille volontaires, tous Calabrais,
et l'on apprenait le debarquement a la Punta-Palinuro ou a Sala, non
loin de Salerne, d'une forte division de l'armee independante, commandee
par le general Tuerr. A partir de ce jour, il est bien difficile de
pouvoir suivre les mouvements de l'armee liberatrice non plus que de
celle des Napolitains.

Les premiers s'avancent toujours hardiment sur une ligne de front assez
etendue; les seconds, au contraire, battent sans cesse en retraite sans
s'inquieter de ce qui en arrivera. Avec ces deux systemes si differents,
il n'etait pas difficile de prevoir que bientot l'armee nationale serait
a Naples. Effectivement, le 4, les volontaires etaient a Potenza et
campaient sur la route de Naples et sur celle de Montepillaro.

Les Napolitains avaient etabli autour de la ville quelques travaux de
fortifications passageres, qu'occuperent immediatement les gardes
civiques.

Il ne restait plus a cette date dans toutes les provinces de
l'Adriatique, la terre d'Otrante, la terre de Bari, la Capitanate, les
deux Calabres, les principautes Ulterieure et Citerieure, la Basilicate,
un seul soldat ni un magistrat royal; partout les soulevements etaient
aussi rapides qu'instantanes, mais quoi que l'on en dise, les evenements
s'accomplissaient bien plus aux cris de _Viva la liberta!_ qu'a ceux de
_Viva il re galantuomo!_ dont on paraissait aussi peu se soucier que de
l'annexion qui etait un mot creux, fort peu compris par les Calabrais en
general.

Le clerge, de meme qu'en Sicile, prenait part ostensiblement a ces
manifestations; les capucins, les cordeliers surtout, venaient en aide
au mouvement et ne craignaient pas au besoin de jeter leurs bonnets
par-dessus leur tete en se faisant soldats pour tout de bon.

A Foggia, le depart des troupes royales fut moins pacifique. En se
retirant, priees trop impoliment, a ce qu'il parait, de decamper, elles
se facherent serieusement et engagerent avec les soldats citoyens une
fusillade qui fit quelques victimes depart et d'autre.

Salerne fut menacee le lendemain 5, par les brigades Bixio, Ehber, Tuerr,
etc. S'attendant a une certaine resistance, l'armee liberale avait
etabli ses avant-postes sur les bords de la Selle, petite riviere ou
plutot torrent qui descend des montagnes et forme plusieurs
embranchements dont le principal longe la route royale de Montefano a
Evoli. Dans la nuit, une partie des troupes vint prendre position entre
Evoli meme et Vicenza, prenant ainsi a revers les royaux qui pouvaient
se rencontrer en avant de Salerne: de Vicenza a Salerne, il n'y a que
quelques lieues de marche.

Le 6, une brigade napolitaine, venant de la Capitanate qu'elle avait
evacuee quelques jours auparavant, descendait de Caglieri a Vicenza,
lorsqu'elle rencontra les avant-postes de l'armee independante; elle
s'empressa de capituler et une partie passa aux Garibaldiens. Le meme
jour, le gros de l'armee etait en vue de Salerne, ou elle entrait la
nuit et le lendemain matin sans tirer un coup de fusil, et ayant le
Dictateur a sa tete.

Le 7, Garibaldi adressait une proclamation a la population napolitaine,
dans laquelle on remarquait le passage suivant: "Je le repete, la
concorde est le premier besoin de l'Italie, nous accueillerons comme
des freres ceux qui ne pensaient pas comme nous a une autre epoque, et
qui voudraient aujourd'hui sincerement apporter leur pierre a l'edifice
patriotique," etc., etc.

Enfin le 8, le general Garibaldi, devancant son armee, entrait a Naples
avec cinq ou six de ses officiers d'ordonnance ou amis sans s'inquieter
le moins du monde des troupes royales qui occupaient encore les postes
de la ville et les forts.

Garibaldi etait en voiture, ayant a cote de lui Bertani et un officier;
dans une seconde voiture etaient trois ou quatre autres officiers. Son
entree et son parcours dans les rues jusqu'au palais de la Forestiera ne
furent qu'un long triomphe, et la garde nationale, qui s'etait
immediatement reunie, vint defiler sous les fenetres du Dictateur et
prendre le service du palais.

Deux jours avant, le roi Francois II, quittant sa capitale, avait pris
la route de Capoue, decide a se renfermer dans Gaete avec les troupes
qui lui resteraient fideles et a y resister aussi longtemps que faire se
pourrait. On sait que cette seconde periode de la guerre de
l'independance a ete autrement honorable pour l'armee royale que les
honteux desastres qui, depuis Palerme, et surtout depuis Reggio, sont
venus s'inscrire sur les pages de l'histoire.

Ici une marche retrograde est necessaire pour etablir les faits au
moment ou le Dictateur entrant a Naples realise la premiere partie des
projets qu'il a annonces sur l'Italie. En repassant par Salerne,
Potenza, Evoli, etc., etc., Cosenza, Monteleone et Scylla, les routes
sont couvertes de Garibaldiens en retard ou nouvellement debarques, de
volontaires calabrais accourant du fond de leurs montagnes pour se
joindre a l'armee liberale; les populations en emoi, comme dans tous
pays le lendemain de revolution, ont organise partout leurs gardes
civiques et leur police provisoire; les magistrats municipaux, remplaces
a la hate, administrent provisoirement au nom du Dictateur aussi bien
qu'ils le peuvent, et tachent, par des requisitions d'approvisionnements
de toute espece, de suppleer au defaut d'argent qui se fait surtout
sentir dans l'armee independante.

De toutes parts, les soldats royaux, pas honteux et peu confus, s'en
retournent tranquillement dans leurs foyers; une partie de leurs
officiers, decides a servir leur patrie, et plus militaires que leurs
soldats, attendent impatiemment une occasion pour reprendre du service
et etre cases dans l'armee meridionale. On apercoit partout de nombreux
placards, imprimes qui sait ou, probablement en Piemont, et sur lesquels
se lisent en grosses lettres d'une encre tres-noire: _Annexion et
Victor-Emmanuel!_ Dans beaucoup d'endroits ces pancartes ont un si
maigre succes qu'elles disparaissent promptement. Dans les campagnes,
les populations ebouriffees ont aussi, comme partout en pareille
circonstance, abandonne leurs champs et laisse leur betail se promener
a l'aventure, pour venir, masses a l'entree de leurs villages, ou
groupes sur les grandes routes, politiquer et se raconter les uns aux
autres les batailles les plus incroyables, les nouvelles les plus
bizarres qu'on puisse imaginer. Dans les villes, c'est a peu pres la
meme chose, peut-etre pis, le soldat citoyen envahit tout; il n'y a plus
de boutiquiers, il n'y a plus que des braves tout prets a se lever comme
un seul homme pour la defense de l'ordre et de la liberte attendue
depuis si longtemps.

Au Faro, de l'autre cote du detroit, tout parait triste et desert, plus
de ces gais et insouciants volontaires dormant au soleil, chantant a la
lune, souffrant toutes les privations sans se plaindre, mangeant ce
qu'ils trouvaient, buvant sans sourciller de l'eau saumatre, prenant
enfin tout en patience, pourvu qu'en un temps donne il leur soit permis
de verser leur sang pour la liberte de la patrie. A peine quelques
canonniers, restes pour le service des batteries, promenent-ils de ca de
la, leur ennui et leur chagrin de n'avoir pu suivre leurs camarades.
Cette longue plage, qui du Faro s'etend jusqu'a Messine, n'est plus
animee que par quelques barques de pecheurs d'espadons qui sillonnent
rapidement le detroit. Enfin le calme est redevenu si general que tout
le monde, jusqu'aux canons, a l'air de sommeiller.

Seule la citadelle de Messine, persistant a montrer toujours ses longues
dents noires a travers les dechiquetures de son parapet, a un tel air de
mauvaise humeur que Belzebuth en prendrait les armes. Heureusement les
citadins messinois, presque completement rassures sur les horreurs d'un
bombardement, ne s'effarouchent plus aussi vite et ne craignent meme pas
de regarder en face la citadelle en affirmant d'un grand air de dedain
que si tot ou tard cette bicoque ne veut pas amener son pavillon, on
saura bien, ventre-saint-gris! l'y contraindre. Alors, impitoyablement
demolie et rasee, on en labourera le sol, on y semera du sel, enfin on
en fera une superbe promenade ou le sable regnera en maitre absolu; ce
qui fait qu'a l'avenir, la ville sera certaine de ne plus encourir de
chatiments aussi severes que ceux de 1848.

Les rues de la ville, desertes de soldats nationaux, ont retrouve leur
aspect bourgeois d'autrefois. A peine si quelques gardes civiques s'y
promenent a l'aise, en compagnie de leurs fusils.

A Milazzo, tout a repris son cours normal; mais tous les matins et tous
les soirs, on voit de nombreux oiseaux de proie planer et s'abattre en
battant de l'aile sur un point quelconque des roseaux qui avoisinent
l'entree de l'isthme. Dans l'interieur de l'ile, une grande partie de la
population s'imagine toujours que la liberte, c'est le droit pour chacun
de faire ce qui lui plait, de prendre ce que bon lui semble. Exemple les
evenements de Bronte; aussi tout va-t-il pas mal de travers, et le
besoin de gendarmes se fait-il generalement sentir.

Les bandes d'honnetes bandits qui courent les montagnes rendent les
communications assez peu sures, et les pancartes votant pour
Victor-Emmanuel sont a l'ordre du jour, pourvu toutefois que le roi
_galantuomo_ agisse comme la liberte, en laissant faire ce qu'on veut. A
cette condition, tous les Siciliens consentiront a etre Piemontais,
c'est-a-dire Italiens, car encore veulent-ils rester Siciliens, avoir,
avant tout, leur petit gouvernement a part, leur petit senat, leurs
petits ministres. Ils tiendraient moins a avoir une petite armee.

Somme toute, Palerme a completement fait disparaitre ses barricades;
comme Messine, elle a quitte son air guerrier; plus heureuse que sa
rivale, aucune citadelle ne l'empeche de dormir. Si Alexandre Dumas
n'habite plus le palais, il y a a sa place presque un vice-roi. La
garnison piemontaise, assez peu choyee, a ete casernee aux Quatro-Venti,
ou le grand air lui est plus sain que celui de la ville.

A Alcamo, une croix a ete elevee sur les victimes de la guerre. A
Calatafimi, un cicerone fait deja sa fortune en racontant aux touristes
les details veridiques du combat de Calatafimi et du debarquement a
Marsala. Enfin, depuis que le _Lombardo_ a ete renfloue et ramene a
Palerme, on se demande si les evenements passes ne sont point un reve,
et a la _Pointe-aux-Blagueurs_, il n'y a pas de jours que l'histoire du
debarquement ne soit racontee six fois au moins. Quant au _padre_
capucin dont il est question dans le premier chapitre, les mauvaises
langues pretendent qu'apres s'etre battu comme un Bayard et avoir rosse
l'ennemi comme un Duguesclin a Calatafimi, a Parco, a Palerme, a
Milazzo, a Reggio et autres lieux; apres etre entre triomphalement
couvert de fleurs et couronne dans la bonne ville de Naples, il est
piteusement revenu un beau matin, licencie parle souverain de son choix
avec bon nombre de ses freres d'armes!

_Sic transit gloria mundi._

FIN.








End of the Project Gutenberg EBook of Quatre mois de l'expedition de
Garibaldi en Sicilie et Italie, by Henri Durand-Brager

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Foundation as set forth in Section 3 below.

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work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
https://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at https://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit https://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: https://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


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